À Lady Kenmure : sur la mort d’une de ses filles (Samuel Rutherford)
Anwoth, 15 juillet 1629
Madame,
Que la grâce et la miséricorde de Dieu notre Père et notre Seigneur Jésus-Christ puissent abonder dans ces lignes que je vous adresse. J’ai éprouvé du chagrin d’être obligé de partir en laissant votre seigneurie dans la douleur, j’en éprouverais bien davantage si je n’étais assuré que vous n’êtes pas seule dans la fournaise et qu’il s’y trouve un visage qui ressemble à celui du Fils de Dieu.
Il vous est bon d’avoir appris dès votre jeunesse à lutter avec Dieu, et à vous soumettre au feu de la fournaise. Si vous lui étiez moins chère, Il ne vous eût point fait boire à tant de coupes amères. Les frères et les sœurs de Christ doivent tous lui être rendus semblables par la souffrance (Ro 8.17). Il en est qui, plus que d’autres, approchent du divin modèle.
Faites-y attention, Madame, une portion de la gloire qui vous réservée est de faire partie de ceux qui apparurent à saint Jean, « venant de la grande tribulation, et dont les robes avaient été lavées et blanchies dans le sang de l’Agneau » (Ap 7.17). Voyez, Celui qui vous a précédée est sorti du monde couvert de sang. Ce ne peut être un mal de mourir comme Lui. Portez donc avec joie dans votre corps le reste des afflictions de Christ.
Vous avez perdu une enfant, que dis-je, elle n’est pas perdue pour vous, puisqu’elle a trouvé Jésus. Elle n’est pas égarée, elle n’a fait que vous précéder. Semblable à ces étoiles qui s’éclipsent à nos regards et vont illuminer un autre hémisphère, vous ne la voyez plus alors même qu’elle brille ailleurs. Le temps lui a fait défaut, et vous devez vous réjouir de ce que maintenant votre trésor est dans le ciel. Ne bâtissez votre nid sur aucun arbre ici-bas, car Dieu les a tous vendus à la mort. Ceux sous lesquels nous voudrions prendre un peu de repos vont être renversés. Il nous faudrait les quitter les uns après les autres, et monter enfin sur quelque rocher pour y placer notre habitation.
Tout ce que vous aimez en dehors de Jésus, votre époux, est un amour en quelque sorte illégitime. C’est une bénédiction spéciale de Dieu de n’avoir pas laissé Juda suivre sa route. « C’est pourquoi voici, je boucherai ton chemin avec des épines, et je ferai une cloison de pierres, tellement qu’elle ne trouvera point ses sentiers, elle poursuivra donc ceux qu’elle aime, mais elle ne les atteindra point » (Os 2.6,7). Trois fois heureux Juda, que Dieu ait élevé une barrière entre toi et le feu de l’enfer ! Le monde et les choses du monde sont ceux que vous aimez en dehors de Christ, l’époux de votre âme.
Les ronces et les épines que Dieu place sur votre route pour vous empêcher d’atteindre ceux que vous aimez sont les blessures douloureuses que vous cause la perte de vos enfants ; ce sont vos maladies, les misères du temps, l’incertitude de la fortune, l’absence de bien-être temporel, la crainte de la colère de Dieu pour d’anciens péchés dont on ne s’est point encore repenti. Vous plaindriez-vous de ce que Dieu ait assez garni la haie pour que la route ancienne ne fût plus visible ?
Revenez sans retard à votre premier Ami ; ne pensez pas que la mort tarde beaucoup à arriver. Il faut que le fruit mûrisse avant de tomber. Vos jours ne sont pas plus longs que ceux de Job qui s’enfuyaient « plus vite qu’un courrier, ils ont passé avec la même vitesse qu’une barque de poste, comme un aigle qui vole après la proie » (Job 9.25,26). Il y a moins de sable dans votre clepsydre qu’il n’y en avait hier. Bientôt vous aurez achevé de mesurer la durée du temps ; mais ce dont vous n’apercevrez jamais la fin, c’est la miséricorde divine. Plus vous la voudrez calculer, moins vous en atteindrez les bornes.
Le Seigneur vous a tracé votre route. « Attends, et tiens-toi prêt pour l’avènement du Seigneur », dit saint Pierre. Comme l’onde suit l’onde qui la précède, chaque misère appelle une autre misère. Soupirez donc en attendant l’aurore de cette matinée qui amènera le Fils de l’homme, lorsque les ombres de la nuit s’évanouiront. Assurez-vous alors de l’arrivée du Roi, lisez la lettre qui l’a précédé. « Je viens bientôt » (Ap 3.11), dit-Il. Attendez avec l’impatience de la sentinelle qui veille au milieu de la nuit, épiant la première lueur que l’Orient fait éclore, et dites-vous bien qu’ici il n’y aura plus de lendemain.
Je crains de vous avoir fatiguée : encore un mot, prouvez qu’une chrétienne sait souffrir sans murmurer, « il y en eut quatorze mille sept cents qui moururent de cette plaie » (No 16.49). Possédez votre âme par la patience. Celui qui gagne Christ ne perd rien. Je vous recommande à la grâce et à la miséricorde de notre Seigneur Jésus, en vous assurant que Dieu sera avec vous quand votre jour viendra. Veuille le Saint-Esprit être avec vous.
S. R.
Cet article est tiré du livre : Lettres aux chrétiens affligés de Samuel Rutherford