À Marguerite Ballantine : chercher Christ avant toutes choses (Samuel Rutherford)
Aberdeen, 1637
Madame,
Il y a longtemps que j’aurais dû vous écrire, mais c’est assez tôt encore si je puis aider votre âme à avancer d’un pas plus rapide vers votre céleste patrie. Hâtez-vous, car la mesure de vos jours sera bientôt comblée, soit que nous veillions, soit que nous dormions, le sablier de tout homme n’en laisse pas moins couler le sable. Prenez garde, ne vous trompez pas sur l’aurore de votre salut, car ce serait pour vous un malheur éternel. Que reste-t-il au pécheur qui a perdu son âme ? Pendant deux jours on brûle sa maison à un feu dont la fumée vous étouffe sans vous chauffer ; puis il faut entrer dans la douleur revêtue d’une honte éternelle.
Une mesure de foi qui me satisferait serait de croire réellement, sincèrement à la doctrine de la justice de Dieu ; à sa dévorante colère, qui est ce feu qui brûlera les pécheurs dans l’étang ardent de feu et de soufre. Le seul bien qu’ils souhaiteront alors sera une goutte d’eau froide pour rafraîchir leur langue. Ah ! Qu’alors ils achèteraient la mort volontiers ! Mais il n’y aura point de marché où il soit possible d’acheter ou de vendre la vie et la mort. Hélas ! La plupart des hommes vont prendre place dans ce lieu de tourment. On va, on vient, on se réjouit, on dort et l’on oublie la seule chose nécessaire. Je vous conseille de vous tenir prête à suivre Jésus. Il est encore près de vous ; efforcez-vous de l’atteindre. Qu’y a-t-il de plus nécessaire que le salut ? Loin de moi toute folle pensée qui ne s’y rapporte pas ! Si l’on annonçait que le salut est offert dans une vente publique, que de personnes se hâteraient d’accourir à l’heure précise !
Veuille Dieu ne me donner aucun autre salut que celui qu’un monde aveugle laisse échapper sans y prendre garde. Je vous dirai aussi avec Ésaïe, chapitre 50, verset 2 : pourquoi donnez-vous l’argent pour ce qui ne nourrit point ? Écoutez-moi attentivement, et Christ vous donnera en son sang tout ce qui vous est bon. Que d’Ésaüs affamés vendent ce qu’ils avaient de meilleur, suivent la chasse et perdent leurs parts de bénédiction ! Et en fin de compte, que leur reste-t-il ? Ils n’ont rien à souper, ils se couchent sans avoir mangé et meurent sans qu’un rayon du soleil de justice ait passé sur eux ; Dieu leur a dit : « C’est de ma main que tout ceci vous est arrivé ; vous mourrez dans les tourments » (És 50.2). Le chagrin pour oreiller est la pire couche qu’un homme puisse avoir ; elle ne lui donnera ni repos ni sommeil. Réveillez donc votre âme et voyez si elle marche de compagnie avec Christ.
Ceux qui n’ont jamais souffert dans leur cœur à cause de Lui ne le connaissent pas. Beaucoup d’âmes croient l’avoir trouvé sans n’avoir jamais veillé une nuit dans la crainte de ne pas le posséder. Celui qui rêve la nuit qu’il est fort riche, l’est-il davantage quand il se réveille ? Au grand jour des rétributions, que seront tous les pécheurs condamnés au feu éternel, sinon de pauvres songeurs qui se sont trompés eux-mêmes. Chacun alors dira en se réveillant : quoi ? Ce n’était qu’un rêve ! Tout homme racontera le sien.
Je vous supplie, au nom du Seigneur Jésus, de prendre garde à ce que vous faites quant à l’aurore de votre salut. Vous ne pouvez, sous aucun prétexte, vous passer de Christ. Dès ce jour, convoquez toutes vos idoles et donnez-leur congé ; puis, saisissant la main de Jésus, dites-lui que dorénavant vous n’aurez de bonheur qu’en Lui, et que, quand la mort viendra, c’est Lui, Lui seul qu’il vous faut. Il n’est pas difficile à trouver ni avare de son amour. Que j’aurais été à plaindre s’Il s’était offert à moi sans se donner entièrement !
Grâce à Dieu je puis vous assurer que mon Seigneur ne peut être ni acheté, ni vendu, ni changé. Quand vous serez debout devant Lui, vos idoles rougiront de honte. Malheur à toute affection qui n’est pas dirigée par Christ ! Une faim éternelle attend tous ceux qui ne sont pas rassasiés en Lui, et qui ne placent pas leur joie dans l’espérance de Le rejoindre au ciel. Honte éternelle sur toute gloire qui n’est pas celle de Christ ; mort sur toute vie autre que la sienne ! Ô, mon Dieu ! Qu’est-ce donc qui peut nous attirer loin de Lui ? Puissions-nous Le rejoindre véritablement !
En vous recommandant à Christ pour toujours, je demeure vôtre.
S. R.
Cet article est tiré du livre : Lettres aux chrétiens affligés de Samuel Rutherford