Comprendre la nature de la sagesse
Cela me trouble toujours lorsque j’entends quelqu’un dire : « J’aimerais lire la Bible, mais chaque fois que j’essaie, je n’arrive pas à comprendre ce que je lis. C’est trop compliqué pour moi. » En général, la Bible n’est pas rédigée dans un vocabulaire si technique ou philosophique qu’on ne puisse la comprendre qu’avec un niveau d’études élevé. En réalité, l’un des grands principes de la Réforme est celui de la clarté des Écritures. Cela signifie que le message central de la Bible est exposé de manière simple, claire et répétée pour que même un enfant puisse comprendre ce qui est nécessaire à la foi et à la vie dans la présence de Dieu.
Cependant, nous devons admettre que les textes des Écritures ne présentent pas tous le même niveau de clarté. Certaines sections étant considérablement difficiles à comprendre, il peut être utile d’apprendre à reconnaître dans les Écritures les structures et récurrences permettant de discerner plus facilement le but principal du texte. La Bible ne contient pas que des histoires. Elle est remplie de récits historiques, de poésie, de paraboles, de lettres et de passages relevant d’une littérature symbolique très imaginative (appelée « littérature apocalyptique »), comme le livre de l’Apocalypse ou le livre de Daniel. Une telle variété de styles et de structures exige l’utilisation de certaines règles d’interprétation de base afin de comprendre les Écritures correctement.
Nous allons nous pencher plus particulièrement sur les Livres de sagesse, qui sont principalement composés de poésie. Cette dernière est présente dans notre langue et notre culture. Il existe différentes formes de poèmes : des poèmes courts, des poèmes longs, des poèmes épiques, des poèmes qui riment et d’autres qui ne riment pas. L’une des caractéristiques typiques de notre poésie (et de celle que l’on retrouve dans d’autres pays du monde) est sa structure métrique. Une ligne est composée de plusieurs temps, tout comme une œuvre musicale. Elle possède presque une cadence, car les syllabes sont disposées de manière que les accents soient répartis de façon mathématiquement proportionnelle.
Toutefois, les Juifs utilisaient une autre technique significative dans leur poésie. Il est important de comprendre la nature de cette technique et d’apprendre à l’identifier, car elle constitue la clé permettant d’accéder aux trésors cachés dans les profondeurs des Écritures sacrées. Cette technique particulière (ou procédé littéraire) s’appelle le « parallélisme ». Les mathématiques nous enseignent que des éléments parallèles sont placés côte à côte et suivent la même direction. Les Livres de sagesse de la Bible présentent plusieurs types de parallélismes. Il est toutefois important de mentionner qu’ils ne se retrouvent pas exclusivement dans les livres que nous appelons « Livres de sagesse ». On les retrouve partout dans les Écritures, y compris dans les prophéties d’Ésaïe, et même dans les enseignements de Jésus dans le Nouveau Testament.
Bien qu’il existe plusieurs types de parallélismes, les Écritures, en particulier les Livres de sagesse, en contiennent principalement trois. Le premier est le parallélisme synonymique. Il est caractérisé par l’expression de la même idée sur deux lignes consécutives, mais avec une formulation différente. Autrement dit, l’auteur utilise différents mots pour exprimer la même idée.
La bénédiction aaronique que l’on retrouve dans Nombres 6.24‑26 est un exemple classique de ce type de parallélisme : « Que l’Éternel te bénisse, et qu’il te garde ! Que l’Éternel fasse luire sa face sur toi, et qu’il t’accorde sa grâce ! Que l’Éternel tourne sa face vers toi, et qu’il te donne la paix ! » Cet exemple est formé de trois lignes qui contiennent chacune deux idées. La première ligne dit : « Que l’Éternel te bénisse, et qu’il te garde ! » La deuxième ligne répète le même couplet, mais avec des mots différents. La première partie, « Que l’Éternel fasse luire sa face sur toi », a le même sens que : « Que l’Éternel te bénisse ». La seconde partie, « qu’il t’accorde sa grâce », signifie exactement la même chose que : « qu’il te garde ». La dernière ligne, « Que l’Éternel tourne sa face vers toi, et qu’il te donne la paix ! », réitère ce que les deux premières lignes avaient déjà exprimé. Elles sont synonymes.
Pourquoi est-il important de savoir reconnaître ce type de parallélisme ? Lorsque nous lisons les Écritures, il arrive parfois que nous comprenions le sens d’une ligne, mais que nous soyons perplexes face au sens de la ligne suivante (ou de la troisième ligne, lorsque le texte contient plusieurs lignes de parallélisme). Si nous saisissons le sens d’au moins une des lignes et que nous comprenons que nous sommes en présence d’un parallélisme, nous détenons la clé de l’interprétation du texte. Si nous comprenons une des lignes, nous savons alors que les autres lignes, qui sont plus difficiles à comprendre, veulent dire essentiellement la même chose, mais en d’autres mots.
Prenons, par exemple, le « Notre Père ». Lorsque Jésus a enseigné à ses disciples comment prier, il a dit ceci : « … ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin » (Mt 6.13). Cette affirmation pourrait créer une certaine confusion chez le lecteur puisque le livre de Jacques nous enseigne ceci : « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne » (1.13). L’affirmation selon laquelle Dieu ne tente personne signifie qu’il n’attire ou n’incite personne à pécher. Une telle chose jetterait une ombre sur la sainteté de Dieu. Pourquoi Jésus dirait-il « ne nous induis pas en tentation » si la Bible présentait cette idée comme erronée ?
Cette apparente contradiction se dissipe lorsque nous lisons la suite de la phrase : « mais délivre-nous du malin » qui renforce la demande « ne nous induis pas en tentation » (Mt 6.13). Le mot grec communément utilisé pour faire référence au malin est ponēros. Lorsque ce mot est utilisé de manière abstraite dans la Bible, il est mis à la forme neutre, ponēron. Toutefois, dans la prière du « Notre Père », lorsque Jésus dit : « mais délivre-nous du malin », il n’utilise pas la forme neutre ponēron,mais plutôt la forme masculine avec le déterminant « le ». Il serait donc plus juste de traduire ainsi cette phrase : « Ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous de celui qui est le malin. » Le mot ponēros est souvent utilisé dans les Écritures pour désigner Satan.
Durant sa vie sur terre, Jésus a été conduit par le Saint-Esprit dans le désert pour y être tenté (Mt 4.1‑11). Jésus a été isolé et exposé aux attaques débridées de Satan. Le ponēros est venu l’attaquer, mais la mission de Jésus était de réussir l’épreuve, de vaincre Satan et de remporter la victoire, non seulement pour lui, mais aussi pour ceux qui devaient recevoir la rédemption en sa mort. Dans la prière du « Notre Père », Jésus déclare d’une certaine manière : « Mon père m’a éprouvé. Mon Père m’a demandé de combattre pendant quarante jours et quarante nuits les attaques débridées de Satan. Lorsque vous priez, demandez-lui qu’il vous préserve d’une telle épreuve. » Lorsque nous demandons au Père de ne pas nous induire en tentation, nous lui disons : « Père, ne me fais pas vivre une telle épreuve et ne m’expose pas à une telle difficulté, mais délivre-moi plutôt du ponēros, le malin. » Tout ceci nous aurait échappé si nous n’avions pas reconnu le parallélisme dans le texte.
La deuxième forme de parallélisme, qui est encore plus fréquente, est le parallélisme antithétique. Lorsqu’une thèse ou une proposition est présentée, le point de vue opposé, contraire à cette thèse ou la défiant, est appelé l’« antithèse » – elle contredit la thèse originale. Lorsque des énoncés en contraste direct l’un avec l’autre sont placés l’un après l’autre, il s’agit de parallélisme antithétique. Tout comme le parallélisme synonymique, le parallélisme antithétique a pour fonction de répéter la même idée, à la différence qu’il le fait en énonçant tout d’abord l’idée sous forme d’un énoncé positif, suivi de son pendant négatif.
Prenons, par exemple, Proverbes 10.1, qui dit : « Un fils sage fait la joie d’un père, et un fils insensé le chagrin de sa mère. » Il s’agit d’une antithèse ou d’un contraste. Un fils sage cause de la joie à son parent tandis qu’un fils insensé cause du chagrin à son parent. Le verset 2 contient un autre exemple de parallélisme antithétique : « Les trésors de la méchanceté ne profitent pas, mais la justice délivre de la mort. » Voyez-vous le contraste ? Voici un autre exemple dans le verset 3 : « L’Éternel ne laisse pas le juste souffrir de la faim, mais il repousse l’avidité des méchants. » Le Psaume 1 contient aussi un exemple de parallélisme antithétique mettant en contraste l’homme pieux, qui est comme un arbre planté près d’un courant d’eau et qui donne son fruit en sa saison, et les méchants, qui sont comme la paille que le vent dissipe.
Proverbe 11.1 dit ceci : « La balance fausse est en horreur à l’Éternel, mais le poids juste lui est agréable. » La sagesse de Dieu, présentée dans les Proverbes, n’est pas simplement constituée de jolis aphorismes. Les Proverbes nous enseignent des principes de vertu et de justice qui influencent notre façon de faire des affaires. Ce verset est un avertissement contre l’usage de poids et de mesures inexactes afin de nous garder de tromper notre prochain ; nous devons traiter avec lui en toute honnêteté.
Les paroles que l’on trouve dans Ésaïe 45.7 en ont troublé plus d’un, particulièrement dans les traductions anciennes. « Je forme la lumière, et je crée les ténèbres, je donne la prospérité, et je crée l’adversité ; moi, l’Éternel, je fais toutes ces choses. » Ce passage semble enseigner que Dieu est l’auteur du mal, qu’il crée le mal. Si cela était effectivement le cas, Dieu serait mauvais. Cependant, il existe environ huit termes hébreux qui peuvent être traduits par le mot « mal ». Une lecture attentive du passage nous permet d’identifier la présence d’un parallélisme antithétique. La première phrase dit : « Je forme la lumière, et je crée les ténèbres… » La lumière et les ténèbres sont mises en contraste. La phrase se poursuit ainsi : « … je donne la prospérité, et je crée l’adversité… » Cette idée pourrait aussi être exprimée de cette manière : « Je donne la prospérité et j’apporte le jugement. » Si nous reconnaissons la présence de parallélisme antithétique dans le passage, nous verrons clairement qu’il ne dit pas que Dieu fait quelque chose de moralement mauvais.
Prenons Proverbes 28.1 comme dernier exemple de parallélisme antithétique : « Le méchant prend la fuite sans qu’on le poursuive, le juste a de l’assurance comme un jeune lion. » Les Écritures utilisent souvent des images étonnamment vives pour mettre en évidence le contraste entre le sage et l’insensé, le juste et l’impie. Le méchant prend la fuite sans que personne ne le poursuive. Il tremble au bruissement d’une feuille. Ces caractéristiques sont celles d’une personne ayant une mauvaise conscience. Or le juste – celui qui n’est ni paralysé ni terrassé par sa propre conscience – a l’assurance d’un lion. C’est un contraste merveilleux.
Le troisième type de parallélisme est le parallélisme synthétique, qui est une progression par niveaux. Le texte de Proverbes 6.16‑19 est un exemple de ce type de parallélisme : « Il y a six choses que hait l’Éternel, et même sept qu’il a en horreur : les yeux hautains, la langue menteuse, les mains qui répandent le sang innocent, le cœur qui médite des projets iniques, les pieds qui se hâtent de courir au mal, le faux témoin qui dit des mensonges, et celui qui excite des querelles entre frères. » L’intensité de ces versets énumérant des péchés que Dieu déteste monte en crescendo.
Lire les Écritures en portant attention à ces types de parallélisme donne accès à un trésor précieux. En repérant les parallélismes synonymiques, antithétiques et synthétiques dans les Livres de sagesse, nous parviendrons à une bien meilleure compréhension de la Parole écrite de Dieu.
Cet article est extrait du livre : «Qu’est-ce que la sagesse biblique?» de R.C. Sproul