Douzième siècle : Les croisades, Abélard, Lombard et les vaudois
À l’aube du XIIe siècle, l’Église commençait à goûter aux fruits amers du schisme de 1054. Les semences de division germaient de façon exponentielle. Parmi les tristes conséquences de cet état des choses, on compte une série de campagnes militaires chrétiennes : les croisades. Organisées par le pape et fortes du soutien de plusieurs royaumes de l’Ouest, ces expéditions avaient pour but de combattre l’islam et de reprendre Jérusalem et la Terre sainte (c’est-à-dire la Palestine) aux musulmans.
La première croisade a eu lieu à la fin du XIe siècle, et les autres ont suivi tout au long du siècle suivant. La deuxième croisade (1145-1149) a été inaugurée par ces paroles du célèbre moine Bernard de Clairvaux : « Il ne faudrait pourtant pas tuer les païens mêmes, si on pouvait les empêcher, par quelque autre moyen que la mort, d’insulter les fidèles ou de les opprimer. Mais pour le moment, il vaut mieux les mettre à mort que de les laisser vivre pour qu’ils portent les mains sur les justes. […] Ainsi, disais-je, le chevalier du Christ donne-t-il la mort sans rien redouter ; mais il meurt avec plus de sécurité encore : c’est lui qui bénéficie de sa propre mort, le Christ de la mort qu’il donne. » Plutôt que de faire usage d’armes spirituelles, telles que la foi, l’amour, la prière, l’évangélisation et les bonnes œuvres, l’Église a choisi de s’appuyer sur sa puissance politique, militaire et financière pour contrer la menace de l’islam.
Il fallait, croyait-on, répondre aux forces musulmanes par le seul langage qu’elles semblaient comprendre : celui de l’épée. Les croisés n’avaient pas saisi que Christ attend autre chose de ses fidèles. Nos fins et nos moyens doivent être les siens. Nous devons parler le langage de l’humilité et de l’amour, au nom de Christ, et non celui de la violence, du massacre et de la vengeance.
Malheureusement, les croisés n’ont pas fait de distinction entre conquérants musulmans et conquis juifs et chrétiens, qui ont également été frappés par le fer et le feu. Au bout du compte, les croisades ont été un échec et ont entaché l’histoire de l’Église chrétienne.
Pierre Abélard, figure notable du XIIe siècle, a été l’un des théologiens les plus influents de son époque, quoiqu’on se souvienne de lui peut-être davantage à cause de son aventure amoureuse avec Héloïse. Sa compréhension de l’expiation différait substantiellement de celle d’Anselme. Selon lui, l’homme est sauvé par l’extraordinaire manifestation d’amour de Dieu en Jésus-Christ. Un tel amour devrait nous bouleverser et nous pousser à placer notre foi en l’Éternel. Toutefois, Abélard n’avait pas saisi cette réalité extraordinaire de l’amour de Dieu : « lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous » (Ro 5.8). L’Écriture relie l’amour à l’expiation dans 1 Jean 4.10 : « Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés. » Si on ne considère pas la mort de Christ comme un sacrifice pour le péché, elle n’est alors rien d’autre qu’un geste démesuré de Dieu.
Il convient aussi de mentionner Pierre Lombard, l’auteur des célèbres Sentences, une compilation de citations des Pères de l’Église sur divers sujets théologiques. Du XIIe au XVIe siècle, les étudiants en théologie devaient rédiger un commentaire sur les Sentences. Lombard était un homme de son temps, et sa méthode reflétait les usages de son époque : les discussions et débats théologiques consistaient surtout en appels aux décrets des conciles, aux opinions d’écrivains anciens et aux doctrines des hommes.
Au XIIe siècle, en France, est né le mouvement vaudois, fondé par Pierre Valdo. Celui-ci a prêché à Lyon (1170-1176) et attiré des disciples : les vaudois. On les a surnommés les « pauvres de Lyon », car ils mettaient l’accent sur la pauvreté volontaire et la simplicité de vie. Ils s’opposaient à de nombreuses erreurs et pratiques corrompues de l’Église d’Occident, ciblées par les réformateurs au XVIe siècle. Le mouvement vaudois s’est rapidement étendu hors de la France après avoir été condamné par le pape en 1184. Les vaudois ont traversé plusieurs siècles d’amères persécutions, mais ils existent encore aujourd’hui et font partie de la famille des églises évangéliques.
Une des nombreuses leçons que nous pouvons tirer de cette période est celle-ci : lorsque l’Église se conforme au programme du monde, elle met son véritable appel de côté, comme l’a démontré l’Église du XIIe siècle. Toutefois, sa lumière ne s’est pas totalement éteinte. Dieu a préservé son témoignage dans le monde. Christ n’a pas abandonné son Église, même dans les temps les plus sombres. Gardons toujours à l’esprit que c’est le programme et l’enseignement de Jésus qu’il nous faut suivre, en menant une vie centrée sur son Évangile, lui rendant ainsi témoignage devant tous.
Cet article est tiré du livre : ABC de l’histoire de l’Église de Sinclair Ferguson, Joel Beeke, et Michael Haykin