La bonne guerre contre les humeurs : comment une foi tenace vient à bout des sentiments
L’hédonisme chrétien met l’accent sur l’importance des sentiments. La Bible nous ordonne de trouver notre bonheur dans le Seigneur, d’aimer la miséricorde, de craindre Dieu, de nous réjouir dans l’espérance. Les émotions sont essentielles à la vie chrétienne obéissante.
En même temps, l’hédonisme chrétien reconnaît que toutes les émotions ne sont pas des émotions pieuses. Tous les sentiments ne sont pas des sentiments fidèles. Toutes les affections ne sont pas des affections saintes. Les émotions ne sont pas toujours nos amies. Loin de servir le service de Dieu, elles peuvent l’entraver et le miner.
Je suis de plus en plus convaincu que nous devons développer (ou retrouver) un vocabulaire plus robuste pour décrire les diverses catégories de sentiments et d’émotions. En particulier, il semble bon de distinguer entre, d’une part, les sentiments immédiats et impulsifs qui sont enracinés dans l’âme mais étroitement liés à notre corps et, d’autre part, les émotions plus profondes et plus stables qui sont des exercices de notre volonté. Nous pouvons appeler les premiers les passions, les secondes, les affections. Avec un peu d’aide de l’apôtre Pierre et de C.S. Lewis, nous pouvons voir l’intérêt de faire ce type de distinction entre les passions immédiates (et superficielles) et les affections plus profondes (ou supérieures).
Mettez votre espérance dans la grâce
Tout d’abord, considérez l’exhortation de Pierre dans 1 Pierre 1.13-16.
C'est pourquoi, tenez votre intelligence en éveil, soyez sobres et mettez toute votre espérance dans la grâce qui vous sera apportée lorsque Jésus-Christ apparaîtra. En enfants obéissants, ne vous conformez pas aux désirs que vous aviez autrefois, quand vous étiez dans l'ignorance. Au contraire, puisque celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite. En effet, il est écrit : « Vous serez saints car moi, je suis saint. »
Remarquez les trois expressions du verset 13 : (1) « tenez votre intelligence en éveil », (2) « soyez sobres » et (3) « mettez toute votre espérance dans la grâce qui vous sera apportée ».
La première phrase signifie littéralement « ceindre les reins de votre esprit ». Pour utiliser une image moderne, nous pourrions dire « retrousser les manches de votre esprit ». Pierre les appelle à se préparer à faire un travail mental sérieux, le genre qui demande un effort. Il ne s’agit pas de se lever du lit en pyjama. Il s’agit d’enfiler ses vêtements de travail, de s’assurer que ses chaussures sont attachées, d’être prêt à faire face au défi.
La deuxième phrase fait référence au contraire de l’ivresse. Soyez sobres. L’ivresse altère notre perception, notre jugement, notre temps de réaction. Le contraire de l’ivresse, c’est la vigilance, la clarté d’esprit, la constance. Alors retroussez les manches de votre esprit, soyez clair et stable, et puis quoi ?
La dernière phrase appelle une réponse affective particulière. L’espérance est une affection orientée vers l’avenir. C’est une attente joyeuse de quelque chose de bon qui va arriver. Nous ne possédons pas encore ce bien, nous n’espérons pas ce que nous avons déjà. Et Pierre sait qu’il est bien trop facile de se laisser distraire par les soucis et les anxiétés de ce monde, de regarder l’avenir avec crainte plutôt qu’avec foi. C’est pourquoi il nous exhorte ainsi : retroussez les manches de notre esprit, soyez lucides et fermes, puis mettez pleinement votre espérance dans la grâce qui vous sera apportée. Vous êtes nés de nouveau pour une espérance vivante, un héritage impérissable (1 Pierre 1.3-5). Maintenant, mettez tout votre espoir dans le raz-de-marée de la grâce à venir.
Que sont les passions ?
Pourquoi est-il si nécessaire de fixer notre espérance de cette manière ? Le verset suivant exprime le danger. « En enfants obéissants, ne vous conformez pas aux désirs que vous aviez autrefois, quand vous étiez dans l’ignorance » (1 Pierre 1.14).
Les passions sont les exercices immédiats, intuitifs et impulsifs de l’âme qui sont étroitement liés au corps. Les passions peuvent être bonnes. Paul désire s’en aller et être avec Christ (Philippiens 1.23), en utilisant le même mot traduit par passions dans 1 Pierre 1. Cependant, dans la Bible, le mot « passions » fait souvent référence à des passions pécheresses et impies. Ailleurs dans 1 Pierre, on les appelle les « désirs [ou passions] de votre nature propre qui font la guerre à l’âme » (1 Pierre 2.11). Elles sont liées à des vices comme la sensualité, l’immoralité sexuelle, l’ivresse et l’idolâtrie sans loi (1 Pierre 4.3). En tant que passions humaines, elles sont opposées à la volonté de Dieu (1 Pierre 4.2). Et ces passions veulent nous diriger. Elles veulent nous emmener quelque part. Si nous les suivons, alors nous cédons ou satisfaisons nos passions, et elles commencent à nous conformer à leur image.
Pierre dépeint donc un conflit entre une affection (l’espérance) qui exige un sérieux effort mental, et les passions charnelles qui font la guerre à notre âme. Et c’est là que Lewis est si utile.
L’attaque éclair contre la foi
Lewis sait que l’esprit humain n’est pas complètement gouverné par la raison. Il y a souvent un conflit entre ce que nous savons être vrai et ce que nos émotions (ou passions) et nos imaginations nous disent être vrai. Il dit qu’une fois que quelqu’un a accepté l’Évangile, voici ce qui se produira inévitablement :
Il y aura un moment où il y aura de mauvaises nouvelles, ou il aura des problèmes, ou il vivra parmi beaucoup d'autres personnes qui n'y croient pas, et d'un seul coup ses émotions se lèveront et effectueront une sorte d'attaque éclair contre sa foi. Ou bien il arrive un moment où il a envie d'une femme, où il a envie de mentir, où il est très content de lui, où il voit une chance de gagner un peu d'argent d'une manière qui n'est pas parfaitement juste : un moment, en fait, où il serait très commode que le christianisme ne soit pas vrai. Et une fois de plus, ses souhaits et ses désirs vont exécuter une attaque éclair. Je ne parle pas des moments où de nouvelles raisons réelles contre le christianisme apparaissent. Il faut les affronter et c'est une autre affaire. Je parle des moments où une simple humeur s'élève contre lui. (Les fondements du Christianisme, 140)
Lewis sait que nos humeurs représentent un réel danger pour notre foi. Ailleurs, il dit :
Notre foi en Christ vacille non pas tant lorsque des arguments réels viennent la contredire que lorsqu'elle semble improbable – lorsque le monde entier prend cet air désolé qui nous en dit beaucoup plus sur l'état de nos passions et même de notre digestion que sur la réalité. . . . Une fois que la passion entre en jeu, la raison humaine, sans l'aide de la grâce, a autant de chances de conserver son emprise sur les vérités déjà acquises qu'un flocon de neige a de chances de conserver sa consistance dans la bouche d'un haut fourneau. (Réflexions chrétiennes, 43)
Sous l’emprise des passions, toutes sortes d’arguments douteux et grotesques commencent à paraître plausibles. Nos humeurs affectent réellement notre foi, et nos humeurs sont fréquemment influencées par notre corps – ce que nous avons mangé, si nous avons bien dormi, si nous avons fait de l’exercice – ainsi que par nos circonstances ou même le temps. Dans ma propre vie, j’ai régulièrement dû faire face à ce genre d’humeurs incrédules, ces nuages brumeux d’incrédulité vague qui semblent s’installer au-dessus de mon âme.
Piloter des éléphants
Comment Peter et Lewis m’aident-ils à faire face à ces humeurs ? Tout d’abord, en me permettant de les reconnaître comme des humeurs passionnelles. Ce type d’incrédulité est un brouillard qui obscurcit la pensée. C’est pourquoi nous devons nous retrousser les manches et nous vider la tête pour fixer notre espérance.
Deuxièmement, ils m’encouragent à prier pour le don de la foi, pour « le pouvoir de continuer à croire, non pas malgré la raison, mais malgré les désirs impurs, la terreur, la jalousie, l’ennui et l’indifférence, ce que la raison, l’autorité, l’expérience, ou les trois, nous ont déjà livré comme vérité » (43).
Maintenant, la foi, ou ce que Pierre appelle ici « fixer pleinement son espérance », est l’art de s’accrocher à ce que nous avons cru face à nos humeurs changeantes. Il y a une sorte de rébellion de nos humeurs contre notre vrai moi. Nos passions pécheresses font la guerre à nos âmes. Nos sentiments inférieurs, superficiels et immédiats, cherchent à prendre le volant, laissant nos facultés supérieures à la traîne.
Pour reprendre une image de Jonathan Haidt, c’est un peu comme essayer de monter un éléphant. L’éléphant (nos passions et nos humeurs) est fort et puissant et se déplace de gauche à droite. Mais si nous retroussons nos manches et restons lucides et stables, nous pouvons, par grâce, apprendre à piloter l’éléphant. Nous pouvons dire à nos humeurs où elles doivent aller.
Une foi tenace
Lewis appelle cela «pratiquer sa foi». S’engager de manière répétée dans la pratique de notre foi transforme cette pratique en une habitude de foi, une sorte de dévouement persévérant et d’engagement affectueux envers la vérité que nous avons reçue. La vraie foi est une chose tenace.
Cultiver cette habitude n’est pas une tâche facile. Elle exige un effort constant. C’est pourquoi nous cherchons chaque jour à mettre les vérités de l’Écriture devant notre esprit. C’est pourquoi nous nous efforçons de prier de manière cohérente et constante, en appelant Dieu, notre Père, à l’aide avec gratitude et humilité. C’est pourquoi nous nous réunissons avec d’autres croyants pour nous encourager mutuellement dans la foi et nous inciter à l’amour et aux bonnes actions. Ces habitudes de grâce sont des moyens par lesquels nous retroussons les manches de notre esprit et mettons sobrement notre espérance dans sa grâce future.
Cet article est une traduction de l’article anglais « The Good War Against Moods » du ministère Desiring God par Timothée Davi.