La crainte de Dieu est une affaire de cœur (Michael Reeves)
Les inclinaisons du coeur
Nous pouvons facilement nous méprendre sur la réalité de la crainte de Dieu, et en faire un spectacle externe et superficiel. Martin Luther a écrit : « Craindre Dieu n’est pas simplement tomber à genoux. Même un homme sans Dieu ou un voleur peut faire cela1. » Les Écritures présentent la crainte de Dieu premièrement comme une affaire interne des inclinations du cœur. Alors, lisons le Psaume 112 :
Heureux l’homme qui craint l’Éternel, qui trouve un grand plaisir à ses commandements (Ps 112.1).
Celui qui craint le Seigneur n’est donc pas simplement celui qui essaie, à contrecœur, d’agir de manière à garder les commandements du Seigneur. Celui qui craint véritablement le Seigneur prend grandement plaisir dans les commandements de Dieu!
En d’autres termes, toute crainte est quelque chose qui est ancré plus profondément que le comportement. Voilà pourquoi la crainte pécheresse n’est pas seulement un problème lié à de mauvaises actions : elle hait Dieu, le méprise en tant que Juge vengeur, et ainsi, agit de manière pécheresse. Par opposition, une juste crainte aime Dieu, le chérit en tant que Père saint, et ainsi, aspire sincèrement à devenir comme lui.
La crainte de Dieu est un important thème biblique et se présente donc comme un superbe chien de garde théologique. Elle nous empêche de penser que nous sommes faits soit pour des performances sans passion, soit pour une connaissance froide de vérités abstraites. Cela nous amène à admettre que nous sommes faits pour connaître Dieu d’une façon telle que nos cœurs tremblent devant sa beauté et sa splendeur, et que nous sommes recréés au plus profond de nous. Cela nous montre qu’entrer dans la vie de Christ implique une transformation qui touche même nos affections, à un tel point que nous commençons non seulement à renoncer aux péchés que nous chérissions autrefois, mais aussi à les mépriser, et à nous attacher au Dieu que nous haïssions jadis.
C’est pour cette raison que le chant est une expression appropriée de la crainte juste et filiale. « Vous tous, peuples, battez des mains ! » crient les fils de Koré dans le Psaume 47.
Poussez vers Dieu des cris de joie ! Car l’Éternel, le Très-Haut, est redoutable (Ps 47.2,3 ; voir aussi Ps 96.1-4).
C’est la raison pour laquelle les chrétiens ont toujours besoin de faire des mélodies au sujet de leur foi, qu’ils adorent ensemble ou qu’ils diffusent leur musique. Instinctivement, les chrétiens veulent chanter pour exprimer les sentiments cachés derrière les mots qu’ils utilisent pour louer, et pour réveiller cette louange, sachant que les mots que l’on prononce d’un ton monotone ne suffisent pas pour adorer Dieu.
Comment les cœurs changent-ils?
Puisque la crainte de Dieu concerne les inclinations les plus profondes du cœur, la façon dont nous pensons pouvoir l’entretenir et la faire grandir dépend de la façon dont nous pensons que notre cœur fonctionne.
Prenez par exemple Matin Luther. Pendant des années, il avait vécu selon la maxime « nous devenons justes en accomplissant des actes justes », et il a découvert que tous ces actes vertueux et visibles ne le rendaient pas juste en son cœur ni rempli d’amour pour le Seigneur. C’était plutôt l’inverse. Essayer de résoudre le problème par lui-même et de devenir juste grâce à ses propres efforts le poussait à avoir une crainte profondément pécheresse de Dieu et à le haïr. Il parvenait à revêtir une apparence de droiture, mais ce n’était rien de plus qu’une mascarade d’autosuffisance, d’adoration de soi et de sa propre justice.
Comme Luther l’avait perçu, notre péché n’est pas simplement une affaire d’actions ou d’habitudes. Nos actions ne font que manifester les inclinations plus profondes de nos cœurs : que nous aimions ou haïssions Dieu. Le fait de simplement changer nos habitudes, selon Luther, ne permet pas de solutionner le problème de nos prédispositions pécheresses plus profondes. Ce dont nous avons besoin est d’un changement radical, pas de nous améliorer nous-mêmes, mais de vivre un profond changement de cœur, afin que nous désirions autre chose, que nous aimions différemment et afin que nous aspirions à de nouvelles choses. Nous avons besoin de cœurs qui aiment librement et qui sont satisfaits en Dieu.C’est-à-dire que seul le Saint-Esprit peut apporter le changement fondamental dont nous avons besoin dans notre disposition de cœur, et il fait cela grâce à l’Évangile qui prêche Jésus-Christ. Il n’y a que la prédication de Christ qui peut changer un cœur pour qu’il désire véritablement la justice et qu’il craigne Dieu avec amour, tremblement et adoration filiale.
La croix
Pourquoi la croix est-elle un sol particulièrement fertile pour la crainte de Dieu ? Premièrement, parce qu’à la croix, nous recevons le pardon sans lequel nous ne pourrions jamais nous approcher de Dieu ni vouloir l’approcher. Mais, en plus de tout cela, elle cultive aussi l’adoration empreinte de crainte la plus exquise pour le Rédempteur. Pensez à la femme pécheresse que Jésus rencontre dans la maison de Simon le pharisien et qui se tient aux pieds de Jésus. « Elle pleurait ; et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux, les baisa, et les oignit de parfum » (Lu 7.38). En voyant cela, Jésus dit à Simon :
Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds ; mais elle, elle les a mouillés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle n’a point cessé de me baiser les pieds. Tu n’as point versé d’huile sur ma tête ; mais elle, elle a versé du parfum sur mes pieds. C’est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés ont été pardonnés : car elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on pardonne peu aime peu (Lu 7.44-47).
Jésus parlait de l’amour qu’elle manifestait, mais le caractère intensément physique de sa démonstration d’affection convient à la description de la crainte que l’Écriture dépeint. La sienne était un amour intensément rempli de crainte. Ou pour le formuler différemment, son amour était si intense, qu’il était rempli de crainte.
Il y a une autre raison pour laquelle la croix est un sol si fertile pour la crainte de Dieu. Car la grâce de Dieu sert de piste, tel un chemin formé de miettes de pain, nous conduisant du pardon en lui-même à celui qui pardonne. C’est-à-dire qu’à la lumière de la croix, les chrétiens ne remercient pas seulement Dieu pour sa grâce envers eux, mais ils se mettent aussi à le louer, car à la croix, il se révèle comme étant bienveillant, merveilleusement bon et miséricordieux. John Bunyan a écrit : « Oh ! Qu’un grand Dieu soit un Dieu bon, bon pour celui qui est indigne, qui ne mérite rien, et pour un peuple qui continuellement fait ce qu’il peut pour provoquer les yeux de sa gloire : voilà ce qui devrait nous faire trembler2. »
Bunyan insiste sur le fait que c’est au pied de la croix que le changement de cœur le plus profond et le plus puissant a lieu, quand il se tourne vers une véritable crainte de Dieu. Avec une sagesse saisissante, Bunyan a écrit que la croix efface simultanément la culpabilité du croyant et augmente notre capacité d’apprécier à quel point notre péché est abject :
Car si Dieu vient en effet jusqu’à vous, et vous visite en pardonnant vos péchés, cette visite enlèvera votre culpabilité, mais fera croître le sentiment que vous êtes dégoûtants, et le sentiment que Dieu a pardonné à un pécheur répugnant vous amènera à la fois à vous réjouir et à trembler. Oh, quelle confusion bénie couvrira alors votre visage3.
C’est une « confusion bénie », faite de douces larmes, où la grâce et la bonté manifestées envers vous à la croix vous font pleurer à cause de votre iniquité. Vous vous repentez et vous vous réjouissez simultanément. Sa grâce souligne votre iniquité, et votre propre iniquité souligne sa grâce, ce qui conduit à une adoration du Sauveur plus profonde et plus joyeuse.
Ce n’est pas seulement que nous nous émerveillons du pardon en lui-même. Si nous étions abandonnés là, nous pourrions encore être remplis d’amour-propre, nous n’apprécierions pas le Sauveur, mais nous nous servirions de lui d’une manière hypocrite comme celui nous évitant gratuitement d’aller en enfer. Nous sommes amenés à ne plus seulement nous émerveiller de la gloire de celui qui donne et de ce qu’il a fait pour nous, mais aussi à nous émerveiller devant qui il est en lui-même. Sa magnanimité et sa bonté absolue nous laissent sans voix et nous remplissent d’une adoration remplie de crainte et de stupéfaction.
- Martin Luther, Luther’s Works, vol. 51, Sermons I, ed. Jaroslav Jan Pelikan, Hilton C. Oswald, and Helmut T. Lehmann (St. Louis, MO: Concordia, 1999), 139.
- John Bunyan, “The Saints’ Knowledge of Christ’s Love,” in The Works of John Bunyan, ed. George Offer, 3 vols. (Glasgow: W. G. Blackie & Son, 1854; repr., Edinburgh: Banner of Truth, 1991), 2:14.
- John Bunyan, “A Treatise on the Fear of God,” in The Works of John Bunyan, 1:440.
Cet article est adapté du livre : « Réjouissez-vous et tremblez » de Michael Reeves