Que voulez-vous dire par « la grâce est irrésistible » ? (Kevin DeYoung)
Dans les articles 15 à 17 du troisième et quatrième point des Canons de Dordrecht (1619), les auteurs tentent de dissiper d’éventuels malentendus à l’égard de la vision réformée de la sotériologie. Je vous les explique, à l’aide de trois commentaires explicatifs.
Tout d’abord, la grâce irrésistible devrait produire l’humilité et la charité chez le croyant, et non l’orgueil et la méfiance. De même que Dieu n’a pas choisi ses élus en raison de quoi que ce soit en eux, ainsi il n’a pas non plus converti les démunis parce qu’ils le méritaient d’une manière ou d’une autre. Nous qui croyons ne devons en aucun cas « nous enorgueillir contre eux, comme si nous nous étions distingués nous-mêmes » (article 15). De même, nous ne devrions pas nous montrer tatillons vis-à-vis de nos amis croyants comme si nous voulions ouvrir leurs entrailles spirituelles et déterminer ce que Dieu a réellement fait en eux. Non, disent les écrits de Dordrecht, « ceux qui extérieurement font profession de foi chrétienne et amendent leur vie, il n’en faut juger et parler qu’en bien ». Insister sur la nécessité que les membres de l’Église soient des gens régénérés (ce que nous devrions faire) ne nous donne pas le droit de nous attribuer à la fois le rôle de juge, de jury et de bourreau. Il nous faut simplement nous attendre de leur part à une profession de foi crédible et aux évidences du fruit de l’Esprit.
La volonté humaine
D’autre part, dans la régénération, la volonté humaine est renouvelée, et non supprimée. Les gens critiquent souvent la théologie réformée, affirmant qu’elle réduit les hommes et les femmes à être des robots ou des marionnettes au bout d’une ficelle. Mais Dordrecht ne nous laissera pas nous contenter de telles caricatures. Les marionnettes n’ont pas de volonté propre. Leurs mouvements sont manipulés par une force extérieure. Ce n’est pas ce que les calvinistes croient (ni ce qu’ils devraient croire !) au sujet de la souveraineté de Dieu. La « grâce divine de la régénération n’agit point dans les hommes comme dans des troncs et des souches de bois ; elle n’annihile pas davantage la volonté et ses propriétés, ni ne la force ou contraint contre son gré. Au contraire, elle la vivifie spirituellement, la guérit, corrige et fléchit, aussi doucement que puissamment » (article 16).
Ceci est extrêmement important. Les réformés croient à la nécessité de faire des choix. Nous n’hésitons pas à appeler les gens à se repentir et à croire. Nous croyons en la volonté humaine et en ses actions. Nous estimons aussi que Dieu doit inculquer à la volonté de nouvelles propriétés, pour que nous désirions un tant soit peu faire ce qui lui plaît. C’est pour cette raison que les auteurs des Canons de Dordrecht ont pris soin de décrire la foi comme le don que Dieu opère en nous par le renouvellement de la volonté. La grâce irrésistible est ce que Dieu accomplit surnaturellement par le pouvoir efficace de l’Esprit dans l’être humain en vue de la conversion, et non ce que Dieu nous impose par une contrainte venant de l’extérieur et par la coercition.
Le renouvellement de notre volonté
Pensez aux petits pois verts (je vous promets de ne pas vous y faire penser très longtemps). La plupart des enfants sains d’esprit et pleins de vie n’aiment pas ce légume. Le seul moyen de réussir à en faire ingurgiter à un enfant qui se tortille est de le maintenir immobile, d’abaisser sa mâchoire inférieure, et de lui enfoncer ces boules vertes au contenu mollet dans la bouche. « Tu vas manger jusqu’au dernier de ces petits pois, même si je dois pour cela te clouer au sol. Et tu finiras par les aimer ! » Ce n’est pas ce que nous entendons par la grâce irrésistible. Dieu ne nous sauve pas en nous imposant la grâce contre notre volonté (ou en faisant disparaître notre volonté). Au lieu de cela, il renouvelle, change et transforme cette dernière. Donc — si vous permettez que mon analogie devienne un peu étrange — maintenant que notre volonté est infusée d’une nouvelle propriété, nous pouvons voir, goûter, toucher et discerner que les petits pois étaient en réalité des bonbons à la gelée depuis le début (je vous l’avais dit que c’était un miracle). Dieu n’enfonce pas les légumes de la grâce dans notre gorge. Il change notre volonté de sorte que maintenant — à cause de ce nouvel appétit souverainement transformé — nous désirons accepter le doux pardon qu’il nous offre.
Enfin, Dieu réalise le miracle de la régénération à travers des moyens. Oui, Dieu est souverain. Oui, l’Esprit souffle où il veut. Oui, le Seigneur a compassion de ceux envers qui il choisit d’avoir compassion. Mais le Seigneur a également décidé d’effectuer cette régénération par « l’usage de l’Évangile » (article 17).
En conclusion
Quand j’étais à l’université, j’avais un professeur qui se disait réformé à un point tel qu’il croyait que des gens pouvaient naître de nouveau qu’ils aient entendu ou non parler de Christ. De nombreux étudiants trouvaient sa logique persuasive : si Dieu est souverain, alors qui peut nier qu’il soit capable de régénérer de mille façons différentes ? Et pourtant Dordrecht ne laisse aucune place à ce genre de christianisme anonyme. Dieu a voulu appeler son peuple et le préserver par les moyens ordinaires de la Parole, des sacrements et de la discipline. Les auteurs de Dordrecht soutiennent : « qu’il n’advienne jamais que ceux qui enseignent, ou ceux qui apprennent dans l’Église, présument de tenter Dieu, en séparant les choses que Dieu, selon son bon plaisir, a voulu être très étroitement conjointes » (article 17). Selon le plan de Dieu, « la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole de Christ » (Ro 10.17). Ce que Dieu a uni, que personne ne le sépare.
Cet article est tiré du livre : La grâce définie et défendue de Kevin DeYoung