La mémoire collective au Québec (Daniel Henderson)
Je me souviens, est la devise nationale du Québec. La définition de chacun de ces mots est très simple, mais la signification de cette phrase est complexe et nous trouvons la nuance de cette devise dans l’histoire du Québec et dans la mémoire collective d’un peuple. Les Québécois sont très complexes comme peuple. « La majorité des Québécois sont issus d’une culture française, mais vivent dans une société anglaise et ont un mode de vie américain. Essentiellement, les Québécois sont des Français modestes, des Anglais enjoués, et des Américains pacifiques[1]. » Dans la mémoire collective des Québécois, il y a deux grands ennemis : les Anglais et l’église[2].
Le Québec a vécu plus de deux siècles de domination, de l’extérieur par l’Empire britannique et de l’intérieur par l’Église catholique et ses alliés. De plus, le Québec est un peuple minoritaire au sein du Canada ; il détient donc une position de faiblesse. Comment cette phrase, je me souviens, est-elle devenue une mémoire sous tension pour la grande majorité des Québécois, selon l’historien Gérard Bouchard[3]?
Les Québécois sont endeuillés pour toujours. Le rappel constant de cette devise sur les plaques d’immatriculation influence la façon dont le Québec interagit avec le monde. Les Québécois sont aveugles aux vrai christianisme parce qu’ils ont vécu le malaise par un faux évangile qui a mérité leur rejet. Les Québécois vont continuer d’avoir de la difficulté à accepter le vrai évangile jusqu’au moment où ils oublient.
« Mais n’oublie pas, Jacques, que les Anglais ont brûlé nos fermes, ils ont brûlé nos maisons[4]. » Dans la mémoire collective, les « maudits anglais » ne sont pas bien vus. Après la conquête des Anglais, ou l’abandon de la France pour certains, de Louisbourg en 1759, le contrôle sur le pouvoir des Anglais a bien commencé. Le gouvernement anglais visait la conversion graduelle des catholiques de la colonie au protestantisme et à plus long terme, l’assimilation pure et simple des Canadiens à la culture anglaise[5].
Le 7 octobre 1763, une proclamation royale énonçait les règles qui régiront cette ancienne colonie française. Premièrement, un nouveau nom pour le peuple a été donné. Québec désignait avant juste une ville, mais à partir de cette date, le Québec est aussi devenu le nom d’un territoire et d’une population. Deuxièmement, le territoire a été considérablement restreint. Troisièmement, la pratique de la religion catholique était sous surveillance. Cette loi a limité presque complètement la juridiction ecclésiastique émanant de Rome, et a facilité l’implantation des églises anglicanes afin de graduellement séduire les Canadiens français à adopter la religion protestante. Finalement, le dernier point important a été l’inauguration d’un pouvoir autoritaire. Sachant que les Canadiens français représentaient une majorité politique, les Anglais ont donné le pouvoir au gouverneur et non à une assemblée d’élus. Cette décision a instauré un système de justice anglais parmi les Canadiens français. De plus, en 1764, pour obtenir un poste ou une charge officielle, le citoyen devait « prononcer un serment dans lequel il est stipulé qu’on renonce au culte des saints, à la puissance du pape, et à l’autorité de l’Église romaine[6]. » Pour un catholique, cela signifiait rejeter leur religion, une action impensable à l’époque. Cette décision a bien garanti que le pouvoir politique resterait chez les Anglais. Même si la situation s’est améliorée des années plus tard, la mémoire de leur volonté de nous assimiler et de nous faire perdre notre langue est restée dans la collectivité du peuple québécois.
Les actions prises par les Anglais ont solidifié l’identité catholique des Canadiens français. Donc, le choix de confesser la religion catholique est devenu une décision politique ou nationaliste. Les affaires criminelles étaient régies par des lois tirées de l’héritage britannique, et les secteurs civil, religieux, éducationnel et autres secteurs culturels étaient administrés par des lois empruntées à l’héritage français. « La plus grande exception concerne probablement la religion, où le Québec ne suivait ni la Grande-Bretagne, ni la France. Le droit québécois accordait une très grande autorité à l’Église catholique, spécialement dans le domaine de l’éducation.[7] » À cause de cela, le système scolaire du Canada jusque dans les années 1950 était confessionnel et non pas culturel ou linguistique[8]. Donc, une famille catholique devait envoyer ses enfants à l’école francophone, et la famille protestante ou athée devait envoyer ses enfants à l’école anglophone. À cause de la situation politique et de l’éducation, les Québécois s’identifiaient presque à 100% à l’Église catholique, souvent sans avoir la foi. C’était un choix identitaire.
Malheureusement, l’église catholique a utilisé son pouvoir dans le domaine de l’éducation pour garder les Québécois ignorants et simples. Elle faisait son possible pour décourager les gens à apprendre l’anglais, et elle a même limité les domaines dans lesquels ils pouvaient étudier. Le curriculum en général était composé d’objectifs consistant à donner « une solide formation chrétienne[9]. » « L’instruction? Pas trop! Nos ancêtres nous ont légué un héritage de pauvreté et d’ignorance, et ce serait une trahison que d’instruire les nôtres », a dit Antoine Rivard, avocat, député de l’Union nationale et solliciteur général du Québec de 1950 à 1959. Le problème est qu’ils ont formé des chrétiens sans foi en Jésus. À cause de cette éducation limitée, les Québécois sont devenus des ouvriers manuels et les Anglais qui n’étaient pas limités par l’église sont devenus des propriétaires, des gérants, etc. Les Anglais qui étaient minoritaires avaient le pouvoir, et les Québecois majoritaires étaient méprisés chez eux.
À partir de 1960, de grands changements sont survenus au Québec en l’ouvrant sur le monde ; cette période est appelée la Révolution tranquille. Cette révolution a débuté par l’édition d’un livre : Les insolences d’un frère untel. Dans ce livre, l’auteur décrit en satire les multiples faiblesses du système d’éducation du Québec. « L’échec de notre système d’enseignement est le reflet d’un échec, ou en tout cas, d’une paralysie de la pensée elle-même. Personne n’ose penser, au Canada français. Du moins, personne n’ose penser tout haut. L’absence de tout dialogue sérieux, dans la province, nous stigmatise de la plus inexpiable façon[10] ». Et son diagnostic du problème était l’implication de l’église catholique dans l’éducation des enfants. Donc, sur une période de dix ans, les Québécois ont rejeté l’Église catholique, et ils ont créé un ministère de l’éducation laïque et ont cessé d’aller aux messes.
Pour faire une histoire courte, aujourd’hui les Québécois associent n’importe quelle forme de christianisme à l’oppression vécue sous l’Église catholique. Mais, même s’ils se distancent de l’église, ils gardent un certain attachement à l’église ; par exemple, il y a toujours un crucifix dans notre assemblée nationale. Paradoxalement, les Québécois sont les plus croyants au Canada, mais les moins pratiquants[11]. En considérant tout ça, comment les Québécois peuvent-ils se souvenir en oubliant et oublier en se souvenant?
Les Québécois ont rejeté Dieu parce que la politique a raconté une histoire plus motivante que celle de l’Église catholique. La politique a promis le pouvoir, le succès et la délivrance des chaînes de la religion. Et le catholicisme était la cause principale d’oppression, de maltraitance, de pauvreté, etc. Présenté avec deux histoires en contradiction, ils ont choisi l’histoire la plus convaincante. La foi qu’ils ont délaissée valait la peine d’être abandonnée.
Mais, en rejetant la foi et l’église, les Québécois ont aussi rejeté Dieu et ce faisant, ils ont créé une sphère d’existence qui se trouve sans signification des choses immanentes. Mais, le Québec a « une culture française, fruit d’un héritage chrétien ou marqué par un patrimoine chrétien[12]. » Avoir une culture issue d’une culture chrétienne sans Dieu c’est comme mettre des fleurs coupées dans une vase ou « … jeter le bébé avec l’eau du bain, alors qu’on aurait pu garder les aspects plus liminaux de notre culture.[13] » Mais, cela nous laisse avec un très grand problème parce que « refuser l’héritage, enfin, c’est hypothéquer l’avenir. Il n’y a pas d’avenir sans passé.[14] »
Puisque la vie quotidienne au Québec est largement marquée par le christianisme, nous avons plusieurs opportunités de bien expliquer et témoigner de la foi d’une manière pertinente et actuelle. Selon Guy Durand, « le rappel de ces aspects chrétiens de notre culture peut susciter des moments d’arrêt et ouvrir à une réflexion sur le sens de nos vies.[15] » Mais ce n’est pas uniquement la culture québécoise qui a jeté le bébé avec l’eau du bain. Les évangéliques en sont aussi coupables. Dans le calendrier ecclésial, nous avons mis de côté plusieurs jours sacrés lors desquels les Québécois essaient d’atteindre le transcendent, c’est-à-dire, trouver Dieu : Noël, le Premier de l’an, l’Épiphanie, le jeudi saint, le Vendredi saint, la Saint-Jean-Baptiste et l’Action de grâce. Pour chacune de ces fêtes, les Québécois racontent une histoire sans Dieu et sans la beauté de l’œuvre de Jésus. Toutefois l’église a cette responsabilité de raconter l’histoire de la rédemption pour les aider à se souvenir.
Selon Charles Taylor, la plus grande perte de l’église c’est la perte de la sainte cène au centre du culte[16]. Dans la plupart des églises évangéliques du Québec, le culte est organisé en fonction de plaire aux émotions des gens en créant une atmosphère chaleureuse, moderne et amusante. En fait, c’est une expérience immanente. Mais les Québécois qui vont à l’église, souvent après avoir été invité par un ami, veulent aller à l’église pour sentir la présence de Dieu. Ils veuent la transcendance. En réaction, les évangéliques ont démystifié la sainte cène pour en faire une expérience immanente ou horizontale. Mais, nous trouvons chez Jean Calvin, cette emphase sur la sainte cène comme manifestation de la présence spirituelle. « Nous devons observer de près que la force et la saveur du sacrement se trouvent concentrées dans ces mots, qui est livré pour vous, qui est répandu pour vous.[17] » « Il nous faut penser à ce que le vin apporte et procure à notre corps afin de comprendre que le sang de Jésus-Christ nous est aussi bénéfique spirituellement : il fortifie, conforte, recrée et réjouit.[18] »
Le peuple québécois se souvient d’un christianisme oppressif et dépourvu du message rédempteur de la croix. Il se souvient qu’à cause de l’église, il n’était pas maître chez lui. Les Québécois se souviennent que l’église les a maintenus dans l’ignorance et dans la pauvreté en limitant leur accès à l’éducation. Par contre, ils se souviennent positivement des valeurs que le christianisme a implantées parmi eux : la famille, le travail, l’amitié et la solidarité entre autres. Donc si l’Église évangélique peut aider des gens à oublier cette histoire et rappeler aux gens que les valeurs qu’ils chérissent viennent du christianisme et que le christianisme est le seul chemin vers Dieu. C’est en Jésus que se trouve la vraie paix pour nos âmes et c’est à travers la cène que Dieu nous communique sa grâce. Donc notre histoire pour l’avenir ce n’est pas l’histoire de l’oppression, mais l’histoire de la rédemption.
Bibliographie
Bédard Eric, L’histoire du Québec pour les nuls, First Editions, 2012, 395p.
Bouchard Gérard, Genèse des nations et cultures du nouveau monde, Boréal, 2000, 500p.
Bouchard Gérald, L’interculturalisme, Boréal, 2012, 286p.
Calvin Jean, Institution de la religion chrétiennes, Kerygma, 2009, 1516p.
Congrès de l’enseignement secondaire, La formation Religieuse, Province du Québec, 1948, 437p.
Côté Pierre, Québecois 101, Québec Amérique, 2012, 212p.
Dumont Fernand, Genèse de la société québecoise, Boréal, 1996, 392p.
Durand Guy, Fêtes, traditions et symboles chrétiens, Fides, 2014, 273p.
Durand Guy, La culture religieuse n’est pas la foi, Éditions des oliviers, 2011, 148p.
Les insolences du Frère Untel, Les Éditions de l’homme, 1960, 258p.
Hamelin Jean et Provencher Jean, Brève histoire du Québec, Boréal, 1997, 132p.
Lamonde Yvan, Histoire sociale des idées au Québec: 1760-1896, Fides, 2000, 353p.
Léger Jean-Marc, Le code Québec, Éditions de l’hommes, 2016, 248p.
Létourneau Jocelyn, Passer à l’avenir, Boréal, 2000, 194p.
Taylor Charles, A Secular Age, Belknap Press, 2007, 896p.
[1] Le code Québec, 24
[2] Quand les Québécois en générale disent églises, ils parlent de l’Église catholique.
[3] L’interculturalisme, 22
[4] Passer à l’avenir, 21
[5] Histoire Québec pour des Nuls, 91
[6] L’Histoire du Québec pour les nuls, 91
[7] Mémoires d’un pasteur ordinaire, 21
[8] Histoire sociale des idées au Québec: 1760-1896, 353
[9] La Formation religieuse, 40
[10] Les insolences du Frère Untel, 55.
[11] Le Code Québec, 18
[12] La culture religieuse n’est pas la foi, 9
[13] Présence magazine, février, 2011
[14] La culture religieuse n’est pas la foi, 21
[15] Fêtes, traditions, et symboles pour comprendre le Québec, 57
[16] Secular Age, 288
[17] Institutions livre IV Ch. XVII, 1284
[18] Institutions livre IV Ch. XVII, 1284