La nouveauté de la nouvelle alliance en Jésus-Christ (Pascal Denault)

Dans l’histoire du christianisme, de Jésus-Christ jusqu’à aujourd’hui, il est commun d’entendre certains chrétiens affirmer que la nouvelle alliance n’est pas si nouvelle que ça. Souvent, une telle affirmation mènent ces derniers à embrasser le pédobaptisme (n.d.e. le baptême des nouveau-nés), ces derniers voyant cette pratique comme une «continuation de la circoncision», une autre manière de l’administrer.

Il était audacieux d’affirmer qu’une alliance appelée « nouvelle » ne fut pas nouvelle. Une telle affirmation était contre-intuitive et exigeait une démonstration laborieuse. Pourtant, les presbytériens, des pédobaptistes, ne croyaient pas que la nouvelle alliance était nouvelle. En effet, leur modèle de l’alliance de grâce les conduisait à voir une identité de substance entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Cependant, cette dernière pouvait difficilement être nouvelle tout en ayant la même substance que la première. Comment les pédobaptistes expliquaient-ils que l’Écriture la présente fréquemment comme étant une alliance nouvelle (Jé 31.31,32 ; Lu 22.20 ; 2 Co 3.6 ; Hé 12.24) ? Ils y arrivaient pourtant en recourant à la séparation entre la substance et l’administration de l’alliance de grâce. Ainsi, les pédobaptistes considéraient que la nouvelle alliance était, en fait, simplement une nouvelle administration, et non une alliance substantiellement différente.

William Ames écrit :

4. Le testament est nouveau par rapport à ce qui existait au temps de Moïse et par rapport à la promesse faite aux pères. Il est nouveau par sa forme, mais non par son essence […] Puisque c’est seulement dans l’administration qui suit Jésus-Christ que la différence entre la nouvelle et l’ancienne alliance est devenue évidente, cette administration est à juste titre nommée la nouvelle alliance et le Nouveau Testament. 5. Elle diffère également de la première administration par sa qualité et sa quantité. 6. Sa différence en qualité réside dans sa clarté et sa liberté1.

La nouveauté de la nouvelle alliance, selon cette approche théologique, était confinée aux aspects externes de l’alliance et ne touchait pas sa substance interne. C’est exactement ce qu’affirmait le grand théologien réformé François Turretin : « Elle est appelée “nouvelle” non pas dans la substance de l’alliance (qui est la même dans les deux), mais au regard (1) des circonstances et du mode […] ; (2) de l’excellence et de la gloire de cette dispensation […] ; (3) de sa durée éternelle2 ». Un peu plus loin, Turretin prend en considération le texte de Jérémie 31 où sont opposées l’ancienne et la nouvelle alliance ; il explique : « Bien que l’alliance sinaïtique soit opposée à la nouvelle alliance dans Jérémie 31, cela ne veut pas dire que cette opposition doit aussi l’être en essence, mais elle peut l’être en ses circonstances ou par diversité de l’économie3 ».

La lecture que Turretin faisait de ce passage nous semble très incertaine. Michael Horton, un pédobaptiste, rejette cette interprétation :

Or, Dieu dit fermement dans Jérémie au sujet de cette nouvelle alliance : « Elle ne sera pas comme celle que j’avais conclue avec leurs ancêtres, quand je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte. Celle-là, ils l’ont rompue, et pourtant c’est moi qui étais leur maître, dit le Seigneur. » Le point ne pourrait pas être plus clair : la nouvelle alliance n’est pas un renouvellement de l’ancienne alliance faite au Sinaï, mais une alliance complètement différente avec un fondement complètement différent4.

Non seulement le texte de Jérémie 31 oppose l’ancienne et la nouvelle alliance, mais il précise en quoi il les oppose : contrairement à l’ancienne alliance, la nouvelle ne sera pas violée. Le texte n’oppose donc pas superficiellement les circonstances externes de ces deux alliances comme le voudrait Turretin, mais il oppose leur substance même : l’une était « transgressable » parce qu’elle était conditionnelle, tandis que l’autre sera « intransgressable » parce qu’elle sera inconditionnelle. John Owen, en accord avec la théologie baptiste, explique que cette inconditionnalité constituait la nouveauté de la nouvelle alliance :

Une alliance est une entente ou un accord concernant certaines conditions mutuellement stipulées par deux parties ou plus. Des promesses en sont le fondement ou encore l’aboutissement […] Elle comprend également des préceptes ou des lois qui sont prescrites à l’homme qui doit, de son côté, les respecter. Pourtant, dans la description de l’alliance ici présentée [la nouvelle alliance], il n’y a aucune mention d’une quelconque condition requise de l’homme ni aucune exigence d’obéissance de sa part. L’ensemble se compose de promesses gratuites, comme nous le verrons dans l’explication de la nouvelle alliance5.

L’inconditionnalité constitue l’élément radicalement nouveau et unique de la nouvelle alliance. Pour les crédobaptistes (n.d.e. ne baptisant que ceux qui sont en mesure de professer leur foi et non les nouveau-nés), la nouvelle alliance est radicalement nouvelle en raison de son inconditionnalité6.

Notes :

[1] William Ames, The Marrow of Theology, p. 206.

[2] Institutes of Elenctic Theology, vol. 2, p. 232.

[3] Ibid., p. 267. Plusieurs pédobaptistes expliquaient l’adjectif « nouvelle » (חָדָָשׁ) du verset 31 de Jérémie par l’idée de « renouvellement ». Jérémie annoncerait simplement un renouvellement de l’alliance de grâce déjà établie sous l’ancienne alliance. La plupart des exégètes, incluant Calvin, s’opposent à cette interprétation (voir Jean Calvin, Commentaries on the Epistle to the Hebrews, p. 188 ; Alan Conner, Covenant Children Today, p. 36 ; Stephen J. Wellum, « Baptism and the Relationship Between the Covenants », Believer’s Baptism, Sign of the New Covenant in Christ, Nashville, B&H Publishing Group, 2006, p. 141‑142).

[4] Michael Horton, God of Promise, p. 53 (italique ajouté par Horton pour souligner justement en quoi la nouvelle alliance serait différente de l’ancienne). Horton peut affirmer une telle chose tout en étant pédobaptiste, puisqu’il sépare l’alliance abrahamique de l’alliance mosaïque. Ainsi, selon sa théologie, la nouvelle alliance est radicalement différente de l’alliance mosaïque, mais non de l’alliance abrahamique. Nous avons vu au chapitre précédent comment les baptistes répondaient à cette dichotomie et pourquoi ils rejetaient la compréhension presbytérienne de l’alliance abrahamique.

[5] John Owen, An Exposition of Hebrews 8.6-13, p. 259 (italique ajouté).

[6] Une des raisons pour laquelle les pédobaptistes avaient peine à admettre la nouveauté de la nouvelle alliance venait du fait que sa substance, à savoir le salut par grâce en Jésus-Christ, fut donnée aux croyants depuis la chute. Comment cette alliance pouvait-elle être nouvelle (dans le sens de différente) ? N’était-elle pas plutôt un renouvellement de la grâce accordé depuis fort longtemps ? Nous avons vu au chapitre 2 de quelle manière les baptistes répondaient à cette question en distinguant entre la révélation de la nouvelle alliance (alliance de grâce) comme promesse et son établissement formel comme alliance. Nous avons également vu que cette notion est supportée par l’exégèse d’Hébreux 9.15 (voir section 3.3 du chapitre 2).

Cet article est tiré de Une alliance plus excellente (The Distinctiveness of Baptist Covenant Theology): La doctrine des alliances : fondement distinctif du baptisme réformé de Pascal Denault.