La sainteté fait réagir (R.C. Sproul)
Le récit de l’événement par lequel Christ a apaisé la tempête s’est déroulé presque aussitôt après dans le ministère de Jésus. Luc situe cet autre événement au lac de Génésareth. On dirait que les Juifs avaient parfois du mal à s’entendre sur le nom à donner à la grande étendue d’eau dans le bassin des collines de Galilée. Le lac de Génésareth est le même plan d’eau que l’on appelle ailleurs la mer de Galilée.
Comme Jésus se trouvait auprès du lac de Génésareth, et que la foule se pressait autour de lui pour entendre la parole de Dieu, il vit au bord du lac deux barques, d’où les pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. Il monta dans l’une de ces barques, qui était à Simon, et il le pria de s’éloigner un peu de terre. Puis il s’assit, et de la barque il enseignait la foule.
Lorsqu’il eut cessé de parler, il dit à Simon : Avance en pleine eau, et jetez vos filets pour pêcher. Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je jetterai le filet. L’ayant jeté, ils prirent une grande quantité de poissons, et leur filet se rompait. Ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l’autre barque de venir les aider. Ils vinrent, et ils remplirent les deux barques, au point qu’elles enfonçaient (Luc 5.1‑7).
Les disciples agacés et irrités
S’il est arrivé aux disciples de manifester de l’agacement et de l’irritation envers Jésus, c’est certainement en cette occasion. Simon Pierre était fatigué d’avoir passé la nuit à pêcher et contrarié d’être rentré bredouille. Ces résultats désastreux auraient suffi à mettre n’importe quel pêcheur professionnel de mauvaise humeur. Ajoutez à sa lassitude la frustration de devoir supporter la foule qui l’avait pressé de toute part pendant toute la matinée durant le sermon de Jésus. Une fois celui‑ci terminé, Simon était prêt à rentrer chez lui pour se coucher. Jésus, quant à lui, voulait aller pêcher. Il avait une merveilleuse idée de pêche en eaux profondes.
Il est facile d’imaginer le sarcasme derrière les propos de Simon :
« Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je jetterai le filet. » (Luc 5.5)
S’il avait véritablement respecté la sagesse de Jésus en pareille situation, Simon se serait contenté de dire : « Je jetterai le filet. » Au lieu de cela, il a jugé nécessaire d’exprimer sa frustration. C’était comme s’il disait : « Écoute, Jésus, tu es un formidable maître. Tes paroles nous tiennent tous en haleine. En matière de religion, tu nous confonds tous. Mais, de grâce, accorde‑nous un peu de crédit. On est des professionnels, on connaît les ficelles du métier. On est restés en mer toute la nuit, et on n’a absolument rien pris. Les poissons ne sont nulle part. Rentrons donc chez nous, allons nous coucher, et on réessayera plus tard. Mais si tu insistes, si ça peut te faire plaisir, bien sûr qu’on va retourner jeter le filet. »
La pêche miraculeuse
Je vois d’ici Simon Pierre échanger un regard entendu avec André et jeter à l’eau le filet qu’il venait de laver en maugréant entre ses dents. Il a dû se dire : Fichus maîtres ! Ils sont tous pareils. Ils croient tout savoir.
Nous connaissons la suite. Dès que Pierre a jeté son filet là où Jésus le lui a demandé, on aurait dit que tous les poissons du lac de Génésareth y ont sauté. C’était comme si les poissons participaient à un concours pour voir qui y sauterait le premier. « Le dernier arrivé est une poule mouillée ! »
Les prises étaient si nombreuses que le filet commençait à se rompre. Lorsque les autres disciples ont accouru sur les lieux dans leur barque, les deux barques ne pouvaient toujours pas contenir tous les poissons. Elles étaient chargées au point de se mettre à caler. C’était la pêche la plus extraordinaire à laquelle les pêcheurs avaient participé.
Comment Pierre y a‑t‑il réagi ? Comment y auriez‑vous réagi ? Je sais pour ma part ce que j’aurais fait. J’aurais mis Jésus sous contrat à l’instant même. Je lui aurais demandé de se présenter au quai une fois par mois pendant cinq minutes. J’aurais exploité la pêcherie la plus lucrative de toute l’Histoire.
La réaction de Pierre
Or, les affaires et les profits n’auraient pu être plus éloignés de la pensée de Pierre. Alors que le filet se rompait, Pierre ne parvenait même plus à voir les poissons. Tout ce qu’il voyait, c’était Jésus. Remarquez ce qui nous est rapporté :
« Quand il vit cela, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus, et dit : Seigneur, retire‑toi de moi, parce que je suis un homme pécheur » (Luc 5.8)
À l’instant, Pierre a compris qu’il se trouvait en présence de la Sainteté incarnée. Il était terriblement mal à l’aise. Il a tout de suite réagi en tombant sur les genoux devant Christ pour l’adorer.
Au lieu de déclarer quelque chose comme : « Seigneur, je t’adore, je te magnifie », il lui a demandé : « Veuille t’éloigner de moi. Je te prie de t’en aller. Je ne peux le supporter. »
L’histoire de la vie de Christ nous présente d’innombrables personnes se frayant un chemin à travers les foules simplement pour s’approcher de lui. Il y a l’un de dix lépreux qui s’est écrié : « Jésus, maître, aie pitié de nous ! » Il y a la femme atteinte d’une perte de sang depuis douze ans qui s’est approchée de Jésus et qui a touché le bord de son vêtement. Il y a le brigand sur la croix qui s’efforçait de recueillir les dernières paroles de Jésus. Il y a les gens qui disent : « Viens près de moi. Regarde‑moi. Touche‑moi. »
Mais pas Pierre. Sa supplique marquée d’angoisse était différente : il a demandé à Jésus de s’éloigner de lui, de lui donner de l’espace, de le laisser seul.
Le sacré fait réagir
Pourquoi ? Ici, il n’y a pas matière à spéculation. Nul besoin de lire entre les lignes, car Pierre indique clairement qu’il veut que Jésus s’en aille : « [Je] suis un homme pécheur. » Les pécheurs ne sont pas à l’aise en présence du sacré. Rappelons‑nous un certain cliché : La misère adore avoir de la compagnie. Selon un autre, les voleurs aiment fraterniser entre eux. Mais ils ne recherchent pas la présence réconfortante de policiers. La misère impie n’aime pas la compagnie de la pureté.
Vous remarquerez que Jésus n’a pas sermonné Pierre au sujet de ses péchés. Il n’a émis aucun reproche, aucun jugement. Tout ce que Jésus a fait, c’est d’enseigner à Pierre à pêcher. Par contre, lorsque le sacré s’est manifesté, il n’a eu besoin d’aucune parole pour s’exprimer. Pierre a reçu un message impossible à manquer. La norme transcendante de toute justice et de toute pureté était plus qu’évidente à ses yeux. Comme cela a été le cas d’Ésaïe avant lui, Pierre s’en est trouvé « défait ».
La réputation de Jésus auprès des non-croyants
Un des faits historiques les plus étranges est la réalité selon laquelle Jésus de Nazareth continue de jouir d’une bonne réputation même parmi les incroyants. Il est rare d’entendre un incroyant parler en mal de Jésus. Il arrive souvent que les gens ouvertement hostiles à l’Église et qui méprisent les chrétiens ne tarissent pas d’éloges envers Jésus. Même Friedrich Nietzsche, qui a annoncé la mort de Dieu et qui déplorait la décadence de l’Église, parlait de Jésus comme d’un exemple d’héroïsme. Au cours des dernières années de sa vie, qu’il a passées dans un asile, Nietzsche exprimait sa propre folie en signant ses lettres « Le Crucifié ».
Le monde dans son ensemble atteste l’incomparable perfection de Jésus. Même George Bernard Shaw, lorsqu’il se montrait critique à l’égard de Jésus, ne pouvait reconnaître de plus haute norme que Christ lui‑même. Au sujet de Jésus, il a dit : « Il y a des fois où il ne s’est pas comporté en chrétien. » L’ironie de la critique de Shaw ne peut nous échapper.
En matière d’excellence morale, même ceux qui ne reconnaissent pas Dieu et le Sauveur en Christ applaudissent Jésus en tant qu’homme. À l’instar de Ponce Pilate, ils déclarent : « Ecce homo. » « Voici l’homme ! » « [Je] ne trouve point de crime en lui. »
Compte tenu de tout l’assentiment qu’obtient Jésus, il est difficile de comprendre pourquoi ses contemporains l’ont tué. Pourquoi la foule a‑t‑elle réclamé son sang à cor et à cri ? Pourquoi les pharisiens le détestaient‑ils ? Pourquoi le plus haut tribunal religieux du pays a‑t‑il condamné à mort quelqu’un d’aussi bon et juste ?
Nul n’est prophète à son époque
Pour percer ce mystère, je vous invite à réfléchir à la Palestine d’aujourd’hui. Celui qui fait un pèlerinage à Jérusalem ne manque pas d’être ébloui par la magnificence de cette ville vénérable. Le soir et la nuit, des projecteurs illuminent les murailles anciennes de la Ville sainte, donnant à celle‑ci un air magique. Si l’on approche de la ville par le côté de la montagne des Oliviers et que l’on traverse la vallée de Cédron par la route qui la serpente, on verra le monument du Tombeau des prophètes qui orne cette route le long du Mur Est, près du pinacle du Temple. La construction de ce monument remonte à l’époque de Christ. Là, pour les Juifs, on a sculpté dans le roc l’image en relief des grands prophètes de l’Ancien Testament, un peu comme le mont Rushmore en miniature.
À l’époque de Jésus, on vénérait les prophètes de l’Ancien Testament. C’étaient les grands héros du passé. Pourtant, de leur vivant, leurs contemporains les avaient haïs, ridiculisés, rejetés, méprisés, persécutés et tués.
Étienne a été le premier martyr chrétien. Une foule furibonde l’a mis à mort parce qu’il a rappelé à ses auditeurs le sang qu’ils avaient sur les mains :
« Hommes au cou raide, incirconcis de cœur et d’oreilles ! vous vous opposez toujours au Saint‑Esprit. Ce que vos pères ont été, vous l’êtes aussi. Lequel des prophètes vos pères n’ont‑ils pas persécuté ? Ils ont tué ceux qui annonçaient d’avance la venue du Juste, que vous avez livré maintenant, et dont vous avez été les meurtriers, vous qui avez reçu la loi d’après des commandements d’anges, et qui ne l’avez point gardée !… » (Actes 7.51‑53.)
L’excellence morale plaît… à distance
On aurait pu croire que ces propos accablants d’Étienne auraient crevé le cœur de ses auditeurs et les auraient conduits à la repentance, mais il en est allé autrement :
« En entendant ces paroles, ils étaient furieux dans leur cœur, et ils grinçaient des dents contre lui. […] Ils poussèrent alors de grands cris, en se bouchant les oreilles, et ils se précipitèrent tous ensemble sur lui, le traînèrent hors de la ville, et le lapidèrent » (Actes 7.54,57,58)
L’excellence morale plaît aux gens, dans la mesure où ils restent en sécurité à distance d’elle. Les Juifs honoraient les prophètes, à distance. Le monde honore Christ, à distance
Pierre désirait être avec Jésus, jusqu’à ce qu’il se soit retrouvé trop près de lui. C’est alors que Pierre s’est écrié : « Seigneur, retire-toi de moi. »
Cet article est tiré du livre : La sainteté de Dieu de R.C. Sproul