L’amour dangereux du confort (Greg Morse)

Il ne pouvait pas imaginer la vie sans son mouchoir. Non pas qu’il ait vécu une vie qui nécessitait un mouchoir, remarquez bien, c’était le principe même de la chose. Il vivait dans sa tanière de hobbit – sa maison très confortable et entièrement meublée dans la colline – et ne souhaitait pas voyager dans l’inconnu désordonné, inconfortable et imprévisible.

En tant que chrétiens vivant en Occident, l’une des tentations auxquelles nous sommes confrontés (souvent sans le savoir) est celle de devenir confortables, douillets, contents, totalement désintéressés de tout ce qui pourrait menacer le repos que nous nous sommes construit. Nous vivons comme Bilbo Baggins dans le Comté de l’histoire de l’Église, largement à l’abri de ses nombreux dangers et désagréments. Nous nous croyons en sécurité, comme Tolkien l’a écrit à propos du Comté dans Le Hobbit, de sorte que « les épées dans ces régions sont le plus souvent émoussées, et les haches sont utilisées pour les arbres, et les boucliers comme berceaux ou couvre-plats ; et les dragons sont confortablement distants (et donc légendaires) ».

Avec toutes les imperfections qui subsistent en Amérique, nous jouissons de plus de libertés, de richesses, de luxes, de technologies que tout autre peuple avant nous. Nous sommes l’envie des anciens rois : Nous pouvons voyager à travers le monde en quelques heures, nos SMS et nos e-mails surpassent de loin leurs lettres et de leurs messagers. Nous avons des matelas, l’air conditionné, des fours, de la viande accompagnant la plupart des repas, du chocolat comme dessert ordinaire, des brosses à dents et du déodorant, des dentistes et des hôpitaux, de la morphine et des antibiotiques, et des toilettes. Même beaucoup de personnes de classe économique inférieure ont des super-ordinateurs dans leurs poches. La famine ici est pratiquement éradiquée. Notre pauvreté n’est pas comme la pauvreté historique ou biblique.

Dieu nous a accordé beaucoup de grâce commune. En plus de ses dons matériels, il nous a donné la possibilité de choisir nos gouverneurs, de célébrer notre culte librement (plus ou moins) et d’être jugés selon un système de justice bien supérieur à celui de la plupart des nations, passées ou présentes. Même les chrétiens ordinaires d’aujourd’hui n’échangeraient pas facilement leur place avec celle d’un roi de 1 ou 2 Rois, et pas seulement parce que nous vivons sous une meilleure alliance. Nous sommes indescriptiblement prospères.

Le côté obscur de la prospérité

Pourtant, la prospérité a un côté sombre. L’amour de l’argent est à la racine de tous les maux (1 Timothée 6.10). C’est pourquoi le sage Agur, par exemple, a prié pour ne pas devenir riche :

Éloigne de moi la fausseté et le mensonge,

et ne me donne ni pauvreté ni richesse,

mais accorde-moi le pain qui m’est nécessaire !

Sinon je risquerais, une fois rassasié, de te renier et de dire : « Qui est l’Éternel ? »

ou, après avoir tout perdu, de voler

et de m’en prendre au nom de mon Dieu. (Proverbes 30.8-9)

Il a tiré les leçons de l’histoire d’Israël qui se répétait : d’abord la bénédiction, puis l’oubli, l’idolâtrie, la discipline et l’exil, la repentance. Dès le début, Moïse a mis en garde le peuple contre l’engraissement et l’oubli :

Veille bien à ne pas oublier l’Éternel, ton Dieu, au point de ne pas respecter ses commandements, ses règles et ses prescriptions, que je te donne aujourd’hui. Lorsque tu mangeras à satiété, lorsque tu construiras et habiteras de belles maisons, lorsque tu verras ton gros et ton petit bétail se multiplier, ton argent et ton or augmenter et tout ce qui est à toi se développer, attention ! Ne laisse pas ton cœur s’enorgueillir et n’oublie pas l’Éternel, ton Dieu. C’est lui qui t’a fait sortir d’Égypte, de la maison d’esclavage. (Deutéronome 8.11-14)

Nous voyons la même tentation à la fin des épîtres de Jésus lorsqu’il reproche à la prospère Église de Laodicée sa tiédeur :

Je connais tes œuvres. Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Si seulement tu étais froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni bouillant, je vais te vomir de ma bouche. En effet, tu dis: Je suis riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien, et tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu. (Apocalypse 3.15-17)

Le côté sombre de la prospérité est qu’elle peut nous faire oublier son Dieu ou modérer notre zèle à son égard.

Bien nourri au coin du feu

Nous risquons de devenir des pèlerins flasques, peu courageux et complaisants. Le confort nous incite à aimer notre luxe et à considérer la vie radicale pour Christ comme « imprudente » et « téméraire ». Bien que j’aime à penser que je suis plus comme Gandalf ou Thorïn – des guerriers qui endurent des lits de pierre et des repas maigres, un temps mordant et des ennemis armés pour une mission urgente – je vois en moi plus de Bilbo d’avant son aventure que je n’aime l’admettre. Lorsqu’on m’invite à partir pour une aventure incertaine, je me dis intérieurement, comme lui : « [Je] n’ai pas besoin d’aventures. Des choses désagréables, dérangeantes et inconfortables ! Ça vous met en retard pour le dîner ! »

Pourtant, cet esprit est contraire à l’appel de notre Seigneur. Il m’a chargé (comme tout chrétien) d’une grande quête : étendre un royaume, sauver des âmes perdues, combattre les ombres (et les esprits sombres qu’elles cachent). Cette aventure me propose d’échanger des mouchoirs et des conforts contre des épreuves et des croix (Luc 9.23). Il me demande de me sacrifier pour répondre aux besoins des autres, de mettre à mort ce qui est terrestre en moi, de confronter des frères empêtrés dans l’iniquité, de considérer ma vie comme bon marché par rapport à sa gloire, de m’opposer à ce que le monde, la chair et Satan aiment et, si cela devait arriver, de tout abandonner et de mourir pour son nom. Chaque jour, il m’invite à me rendre dans l’inconnu, même si ce n’est que de l’autre côté de la rue, pour annoncer l’Évangile à mes voisins.

Lorsque Christ viendra comme un voleur dans la nuit, combien d’entre nous trouvera-t-il dans ses vêtements et ses pantoufles, assis au coin du feu, en se murmurant à lui-même : « Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois et réjouis-toi » (Luc 12.19) ? Je sais que j’espère tranquillement, de temps en temps, que Jésus puisse se contenter de suppléer mon mode de vie américain. Que je n’ai jamais besoin d’être en retard pour le dîner.

Et au coin de ce feu, les féroces persécutions du dragon, les taux impondérables d’exécutions d’enfants à naître, le péril des voisins non-croyants, et les multitudes d’âmes perdues qui tombent de ce monde sans jamais entendre parler de Christ, tout cela semble bien loin.

Apprendre à faire face à l’abondance

Combien de fois reconnaissez-vous, et encore moins supportez-vous, les tentations qui accompagnent l’abondance ?  La tentation d’être respectable aux yeux du monde ? La tentation d’aimer votre vie dans ce monde ?

Peu de choses aplatissent la virilité du christianisme comme s’arrêter en cours de route, camper de ce côté du Jourdain. Pour se mettre à l’aise. Pour devenir gros. Pour s’empêtrer dans des poursuites civiles. Pour ne pas avoir à servir le roi et le pays céleste. Pour perdre de vue la mission, pour ne plus avoir le courage de faire la guerre. Pour devenir trop friands de nos fauteuils et émissions de télévision préférés.

Pour la plupart d’entre nous, la demande ne consiste pas à faire nos bagages et à déménager en Papouasie-Nouvelle-Guinée (même si c’est le cas pour certains).  Nous n’irons pas tous à l’étranger pour échapper à notre Comté occidental. Au contraire, la plupart d’entre nous sont appelés par Dieu à vivre fidèlement dans leur situation. Nous devons apprendre – et c’est contre-intuitif – comment faire face à l’abondance.

Je sais vivre dans la pauvreté et je sais vivre dans l’abondance. Partout et en toutes circonstances j’ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l’abondance et à être dans le besoin. Je peux tout par celui qui me fortifie. (Philippiens 4.12-13)

Nous pouvons tous imaginer être confrontés à la pauvreté et à la faim et avoir désespérément besoin de l’aide du Seigneur. Mais remarquez quel autre secret Paul a besoin d’apprendre. Il a appris le secret pour faire face à l’abondance. Il avait besoin d’aide pour faire face aux coups durs et aux lits moelleux. Et il a appris le secret pour abonder sans se laisser corrompre par l’un ou l’autre : il pouvait tout par Christ qui le fortifie.

On peut supposer qu’il n’y a pas de danger dans un monde qui semble si sûr. Si personne ne frappe violemment à la porte, nous supposons que nous n’avons pas besoin de la même force que les chrétiens pauvres ou persécutés. Or, nous en avons besoin. Nous aussi, nous avons besoin de la force de Christ dans la prospérité à laquelle nous sommes confrontés. Nous avons besoin de Christ et de sa force pour vivre concentrés sur le ciel, pour risquer notre réputation et notre fortune, et pour faire comprendre clairement, dans un pays plein d’abondance, que nous recherchons un meilleur pays – un pays céleste.


Cet article est une traduction de l’article anglais « The Dangerous Love of Ease » du ministère Desiring God par Timothée Davi.