L’attrait de la Terre du Milieu (Tony Reinke)
Plus de soixante-quinze ans après que J.R.R. Tolkien ait écrit Le Hobbit, la gloire et la majesté de la Terre du Milieu continuent d’attirer des millions de lecteurs et, plus récemment, de cinéphiles.
La popularité durable de Tolkien s’explique en partie par la façon dont il aborde avec art les grands thèmes de notre expérience collective de ce monde. Tolkien s’inspire des thèmes de la gloire, de la majesté et de la royauté – des réalités intangibles et abstraites qu’il n’est pas facile d’exploiter dans l’art – et les intègre profondément dans la Terre du Milieu.
À grande échelle dans Le Seigneur des Anneaux, et à plus petite échelle, mais non moins significative, dans Le Hobbit, on retrouve le désir du bon roi de sortir de l’ombre et de reconquérir son empire légitime, un désir ancien, plus vieux que les rois mythiques comme le roi Arthur.
Pas de rois
Aujourd’hui, les rois sont le plus souvent relégués à un rôle protocolaire sans importance. Mais il reste dans la royauté une signification durable et inéluctable, quelque chose de profondément ancré dans nos âmes, quelque chose qui nous dit que le monde ne prospérera que lorsqu’il sera dirigé par le vrai roi.
Là où aucun roi ne règne, le mal règne. Tolkien le sait. C’est ce qui rend les montagnes brumeuses si dangereuses pour la compagnie de Bilbo, des nains et de Gandalf, les voyageurs du Hobbit. Dès le début de leur périple, le sage mage sait pertinemment que voyager « sur ces grandes montagnes aux sommets et aux vallées solitaires où aucun roi ne règne » entraînera une « aventure effrayante » truffée de dangers.
Aucun pied ne se promène avec désinvolture dans les royaumes non gouvernés.
Le roi Thorin
Les rois doivent retourner à leur royaume, et le roi qui est de retour dans Le Hobbit est Thorin, le véritable roi de la Montagne Solitaire et de ses vastes cavernes de richesses gorgées d’or. Lorsque nous entrons dans l’histoire, Thorin a été remplacé par un méchant usurpateur, un menteur et un voleur, le dragon Smaug, qui est « la plus grande et la plus grave des calamités ». La mutinerie de Smaug est motivée par sa prétention injustifiée d’être, selon ses propres termes, « le véritable roi sous la montagne ».
Ce n’était pas le cas, mais sa fausse déclaration est à l’origine d’une déclaration capitale, plus tard dans Le Hobbit : « Je suis Thorin, fils de Thraïn, fils de Thror, roi sous la montagne ! Je suis de retour ! »
Le Hobbit doit être lu (ou vu) comme un conflit entre des rois concurrents, et lorsque le roi légitime revient, le mal est en danger. Le grand dragon Smaug doit être abattu, et il le sera, et les rumeurs de sa mort déclencheront des vagues de forces maléfiques de moindre importance, qui se disputeront toutes les richesses de la Montagne Solitaire.
Tous ces maraudeurs maléfiques et avides doivent être chassés de la Montagne Solitaire, et cette victoire est liée à la royauté.
Le roi est arrivé dans sa demeure,
Sous la montagne sombre et haute.
Le ver de l’épouvante a été abattu et est mort,
Et à jamais, nos ennemis succomberont.
Si le grand dragon est abattu et que le vrai roi est de retour, tous les autres ennemis sont voués à l’échec. Le retour du roi et la mort de Smaug entraînent une révolution en Terre du Milieu. À la fin du livre Le Hobbit, nous apprenons l’existence des Monts Brumeux, la chaîne de montagnes qui n’était pas gouvernée auparavant et qui l’est maintenant par Beorn, l’homme/ours qui change de forme. Sous la direction de Beorn, les Monts Brumeux seront débarrassés des gobelins et des Wargs, le mal reculera et les hommes traverseront les Monts Brumeux en paix.
Les rois en Terre du Milieu
C’est ainsi que fonctionne la Terre du Milieu. La Terre du Milieu est sans conteste un monde de rois. Dans son livre The Philosophy of Tolkien, Peter Kreeft reprend ce point avec perspicacité.
Bien que nous n’ayons pas de rois en Amérique, ou que nous n’en voulions pas, ils sont présents dans notre subconscient et dans nos désirs les plus profonds. Nous savons tous ce qu’est un vrai roi, un roi réel, un roi idéal, un roi archétypique. Ce n’est pas un simple politicien ou soldat. Quelque chose en nous aspire à lui donner notre loyauté, notre fidélité, notre service et notre obéissance. Il est absent mais désiré et reviendra un jour, comme Arthur.
Dans Le Seigneur des Anneaux, Arthur s’appelle « Aragorn ». Lorsque nous lisons Le Seigneur des Anneaux, il retourne sur son trône dans notre esprit. Il a toujours été là ; Le Seigneur des Anneaux ne fait que le ramener à notre conscience depuis la tombe du subconscient, où il dormait. (44-45)
Tim Keller développe ce point dans une prédication sur Psaume 2 :
Nous devons avoir une démocratie parce que les êtres humains sont tellement pécheurs qu’aucun d’entre nous n’est vraiment apte à gouverner. Mais nous avons besoin d’un roi. Nous avons été conçus pour un roi.
La raison des anciens mythes, la raison des nouveaux mythes (tous les mythes de super-héros sont de nouveaux mythes à propos de rois), la raison pour laquelle nous adorons les rois et les créons, c’est parce qu’il y a une trace mémorielle dans la race humaine, en vous et en moi, d’un grand Roi, d’un Roi ancien, qui a régné avec tant de pouvoir, de sagesse, de compassion, de justice et de gloire que son pouvoir, sa sagesse, sa compassion et sa gloire étaient comme le soleil qui brille dans toute sa force. Nous savons que nous avons été créés pour nous soumettre à ce Roi, pour nous tenir devant lui, l’adorer, le servir et le connaître.
C’est ce que dit la Bible. La Bible dit qu’il y a un Roi qui est au-dessus des rois. Il y a un Roi derrière les rois. Il y a un Roi en dessous de toutes ces légendes. Même les plus grands rois ne sont que de faibles reflets de la trace mémorielle en nous.
Tolkien exploite cette profonde douleur en nous. Nous avons été créés par un Roi, et nous sommes faits pour être gouvernés par lui. Et lorsque le bon roi régnera, la prospérité régnera à nouveau sur le pays. Les prophètes bibliques ont compris cela (Ésaïe 60), et c’est ce désir prophétique que Tolkien met dans la bouche des Nains, qui chantent avec solennité et nostalgie :
Le Roi sous les montagnes,
Le Roi de la roche taillée,
Le seigneur des fontaines d’argent
Retournera à ce qui est sien !
Sa couronne sera maintenue,
Sa harpe sera retendue,
Ses salles résonneront, comme un écho doré,
Des chansons d’antan chantées à nouveau.
Les bois onduleront sur les montagnes
Et l’herbe sous le soleil ;
Sa richesse coulera dans les fontaines
Et les rivières d’or couleront.
Les ruisseaux couleront dans l’allégresse,
Les lacs brilleront et brûleront,
Et le chagrin et la tristesse s’évanouiront
Au retour du Roi de la Montagne !
Thorin, le roi qui revient dans Le Hobbit, n’est pas Aragorn (le roi qui revient dans Le Seigneur des Anneaux). Thorin est un roi imparfait, égoïste et grincheux, et pourtant il porte les espoirs de l’ancienne prophétie.
L’espoir et la déception sont intimement liés à nos rois. Tous nos rois vont mal tourner d’une manière ou d’une autre (1 Samuel 8). Trop souvent, nos rois deviennent égoïstes. Et même le plus désintéressé de nos rois mourra. Ils sont tués au combat (comme Thorin), ou ils sont tués par le tic-tac de l’horloge (selon l’énigme de Gollum).
Et c’est là que réside le problème : à la fin, aucun de nos rois ne fera l’affaire.
Le retour du roi
Et c’est ainsi que nous nous retrouvons pris au piège. Nous ne voulons pas de rois, mais notre dégoût moderne envers le fait d’être gouvernés par eux ne peut faire disparaître cette « trace mémorielle dans la race humaine ». Même si nous, les indépendants modernes qui rejettent les rois, rejetons cette idée, nous savons vraiment que nous sommes faits pour être gouvernés par un roi parfaitement juste, un roi digne de toute notre obéissance et de tout notre service, qui instaurera enfin une paix parfaite et libérera des rivières d’abondance joyeuse si grandes que les piles de pièces d’or se réduiront à des métaphores.
C’est l’attrait de la Terre du Milieu.
Nous sommes attirés vers la Terre du Milieu par ce désir ardent et inassouvi du jour où le vrai Roi reviendra pour expulser le vil dragon et reconquérir la terre qu’il a, en réalité, toujours possédée (2 Timothée 4.8).
Les chants prophétiques sont en place.
Quand bien même, viens Seigneur Jésus !
Cet article est une traduction de l’article anglais « The Allure of Middle-Earth » du ministère Desiring God par Timothée Davi.