Le Dieu saint manifeste un amour saint
Lorsque Jésus a rencontré un jeune homme du nom de Martin Luther, il ne lui a pas fallu faire une démonstration élaborée pour l’aider à comprendre son péché. Il n’a jamais dit à Luther : « Il te manque encore une chose. » Luther savait déjà qu’il lui en manquait une multitude. C’était un avocat ; il avait étudié la loi de l’Ancien Testament ; il connaissait les exigences d’un Dieu pur et saint, et tout cela le rendait fou.
Le génie de Luther affrontait un dilemme juridique qu’il ne pouvait résoudre. Il semblait n’y avoir aucune solution possible. Une question le hantait jour et nuit : Comment un Dieu juste peut‑il accepter un homme injuste ? Même s’il savait que sa destinée éternelle était en jeu, il ne parvenait pas à en trouver la réponse. Des gens moins brillants poursuivaient joyeusement leur chemin, savourant le bonheur de l’ignorance. Ils se contentaient de penser que Dieu compromettrait son excellence et les accueillerait dans le ciel. Après tout, le ciel ne serait pas l’endroit merveilleux qu’il était censé être s’ils en étaient exclus. L’être humain estime que Dieu doit lui attribuer des notes selon une courbe. Il faut que jeunesse se passe, et Dieu est assez grand pour fermer les yeux sur quelques taches morales.
Deux choses séparaient Luther du reste des hommes : Premièrement, il savait qui était Dieu. Deuxièmement, il connaissait les exigences propres à la loi de Dieu. Il avait acquis la maîtrise de la loi. S’il ne parvenait pas à comprendre l’Évangile, il en mourrait dans les tourments.
L’ultime expérience religieuse de Luther
Puis la chose s’est produite : l’ultime expérience religieuse de Luther. Il n’y a eu aucune foudre, aucun encrier ne volant dans les airs. Elle est survenue dans le silence, dans la solitude de son étude. La présumée « expérience de la tour » de Luther a changé le cours de l’Histoire. Cette expérience impliquait une nouvelle compréhension de Dieu, une nouvelle compréhension de sa justice divine. Elle démontrait la possibilité que Dieu use de miséricorde sans pour autant compromettre sa justice.
Il s’agissait d’une nouvelle compréhension du fait qu’un Dieu saint manifeste un amour saint :
J’avais brûlé d’un étonnant désir de comprendre ce que disait Paul dans l’épître aux Romains. Ce n’était pas le manque de courage qui m’en avait empêché, mais un seul mot : « la justice de Dieu se révèle en lui ». Je détestais en effet ce mot « justice de Dieu » […] par laquelle Dieu est juste et punit les pécheurs et les iniques. Et moi qui, bien que menant une vie monastique irréprochable, avais une conscience très inquiète, me sentais pécheur devant Dieu et ne pouvais être sûr de l’apaiser en lui donnant satisfaction, je n’aimais pas, bien mieux, je détestais le Dieu juste qui punit les pécheurs. […]
Je rageais, la conscience furieuse et troublée, mais j’allais en importun trouver Paul à cette place, assoiffé de savoir ce qu’il voulait dire. Finalement, en méditant jour et nuit, je trouvai la relation entre les termes grâce à la miséricorde divine. « La justice de Dieu se révèle en lui » s’explique par « le juste vit de la foi ». Je commençai à comprendre que la justice de Dieu est celle dont vit le juste par le don de Dieu et qu’elle vient donc de la foi. La phrase veut dire que la justice de Dieu est révélée par l’Évangile, à savoir la justice passive avec laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi, car il est écrit « le juste vit de la foi ». Alors, je me sentis renaître et entrer au paradis portes ouvertes. D’un seul coup, toute l’Écriture me parut autre. […]
Dès lors, autant j’avais haï ce mot, « la justice de Dieu », autant je fus transporté d’amour pour ce mot très doux, de sorte que le passage de saint Paul fut vraiment pour moi la porte du paradis. [1]
Par la foi seule
Comme pour Ésaïe avant lui, Luther a senti la pierre ardente sur ses lèvres. Il savait ce que cela signifiait que d’être défait. Le miroir ’un Dieu saint l’avait fait voler en éclats. Il a dit plus tard qu’avant qu’il puisse goûter le ciel, Dieu l’avait d’abord suspendu au‑dessus des feux de l’enfer. Dieu n’a pas laissé tomber son serviteur dans l’abîme ; il lui a sauvé la vie. Il lui a prouvé qu’il était à la fois un Dieu juste et le justificateur. Lorsque Luther a compris l’Évangile pour la première fois, les portes du paradis se sont ouvertes tout grand à lui, et il les a franchies.
Le cri de guerre de la Réforme protestante : « Le juste vit de la foi. » Luther voyait dans l’idée de la justification par la foi seule, par les seuls mérites de Christ, le cœur même de l’Évangile : « l’article sur lequel l’Église repose ou trébuche ». Luther savait que c’était l’article qui lui permettrait de se tenir debout ou qui causerait sa chute.
Une force nouvelle
Dès l’instant où Luther a compris les enseignements de Paul dans l’épître aux Romains, il est né de nouveau. Le fardeau de sa culpabilité lui a été enlevé. Le tourment démentiel a pris fin. Or, cela a revêtu une telle signification pour Luther que cette découverte lui a permis de tenir tête au pape et au concile, au prince et à l’empereur, et lui permettrait, si nécessaire, au monde entier. Il avait franchi les portes du paradis, et personne ne l’en retirerait. Luther était un protestant qui savait contre quoi il protestait.
Luther était‑il fou ? Peut‑être. Si c’était toutefois le cas, prions pour que Dieu fasse se propager ici‑bas une épidémie d’une telle folie de manière à ce que nous puissions nous aussi goûter la justification qui n’est possible que par la foi.
[1] Jean Wirth, « Le mythe du jeune Luther », dans Journal des savants, no 3, 1979, p. 207‑208.
Cet article est tiré du livre : La sainteté de Dieu de R.C. Sproul