Le doute n’est pas l’incrédulité (Os Guinness)

Le doute n’est pas l’opposé de la foi, mais il n’est pas non plus synonyme d’incrédulité. Le doute est un état intermédiaire de suspension entre la foi et l’incrédulité. Par conséquent, il ne se réduit pas complètement à l’un ou à l’autre, et pourtant il n’est étranger ni à l’un ni à l’autre. Cette précision est capitale parce qu’elle met le doigt sur l’une des premières fausses conceptions concernant le doute : cette croyance que nous devrions nous sentir coupables de douter, parce que le doute serait une trahison vis-à-vis de la foi et une capitulation devant l’incrédulité. On trouvera difficilement cause plus anxiogène et asservissante parmi les confusions qui règnent autour du doute.

La distinction entre doute et incrédulité est cruciale : la Bible fait clairement la différence entre les deux, même si cette différence n’est pas facile à cerner. Si le doute est cet état de suspension, à mi-chemin entre la foi et l’incrédulité, l’incrédulité en revanche désigne une fermeture d’esprit vis-à-vis de Dieu, une attitude intérieure de désobéissance et de défiance vis-à-vis de la vérité. Ainsi, l’incrédulité résulte d’un choix arrêté, d’un refus délibéré de croire ou d’une volonté consciente de désobéir, et c’est pour cette raison qu’elle est condamnable. Ce n’est qu’à de rares occasions dans la Bible que le terme « incrédulité » est utilisé pour décrire les doutes de croyants encore convaincus, mais qui en arrivent à un stade de doute injustifiable, proche de l’incrédulité avérée (par exemple, Luc 24.41.). Ainsi, l’ambiguïté des textes bibliques dans l’usage des termes liés à l’incrédulité reflète davantage une forme de subtilité psychologique qu’un flou théologique.

Ainsi, sur le plan théorique, la distinction entre foi, doute, et incrédulité est évidente : la foi, c’est être cohérent dans sa croyance, l’incrédulité, c’est être cohérent dans son incroyance, et le doute est pris entre les deux.

Par contre, dans la pratique, la distinction n’est pas toujours aussi claire, surtout lorsque le doute penche en direction de l’incrédulité, et passe la frontière floue entre l’incertitude ouverte propre au doute et la certitude fermée de l’incrédulité.

Néanmoins, le canevas général de la doctrine biblique du doute est clair. Derrière la multiplicité des termes, l’idée est la même : le doute est une étape intermédiaire, un état de division intérieure, pris entre deux mondes, tiraillé entre le désir d’affirmer et celui de nier. Ainsi, l’idée de doute complet est-elle une contradiction dans les termes : le doute total n’est plus le doute, mais l’incrédulité.

Bien sûr, nous pouvons nous sentir dans le doute total, au point de confondre notre doute avec de l’incrédulité. Toutefois, cela devrait nous amener à affronter notre doute pour y mettre fin et éviter qu’il ne se transforme en incrédulité. Quand le père de l’enfant démoniaque s’exclame : « Je crois ; viens au secours de mon incrédulité ! » (Marc 9.24 – LSG), il condamne son propre doute en le qualifiant d’incrédulité. Ces mots ne sont pas devenus la « prière du douteur » pour rien : Jésus, qui ne répondait jamais à l’incrédulité, répond à sa prière en guérissant son fils, preuve qu’il considère son appel comme un signe de doute. La distinction entre doute et incrédulité, même si elle n’est pas simple et évidente, n’en est pas moins utile et valide. La question n’est peut-être pas de savoir quand notre doute se transforme en incrédulité. Cela Dieu seul le sait, et les tentatives humaines en ce sens peuvent s’avérer cruellement décevantes. Toutefois, nous devons être au clair quant aux extrêmes auxquels le doute conduit lorsqu’il se mue en incrédulité.

Cet article est un extrait du livre Au-delà du doute : La raison au cœur de la foi par Os Guinness