Le lien entre le péché et la création (Albert M. Wolters)
S’il est vrai que le péché d’Adam a entraîné à sa suite la corruption, du moins en principe, de la création entière, il devient alors très important de comprendre le rapport qui existe entre cette corruption et la création originellement bonne. Ce point est crucial pour une vision chrétienne du monde. L’enjeu à comprendre est que, bibliquement parlant, le péché n’abolit pas la création et n’est pas identifié à celle-ci.
La création et le péché sont distincts
La création et le péché demeurent distincts, quel que soit leur degré d’imbrication dans notre expérience. La prostitution n’élimine pas le caractère bon de la sexualité humaine ; la tyrannie politique ne peut pas balayer le fait que l’État a été ordonné par Dieu ; l’anarchie et le subjectivisme de la plus grande partie de l’art moderne ne peuvent pas effacer la légitimité créationnelle de l’art lui-même. En bref, le mal n’a pas le pouvoir d’annihiler la fidélité inébranlable de Dieu envers l’œuvre de ses mains.
Le péché introduit une dimension entièrement nouvelle dans l’ordre créé
Le péché ne trouve en aucune façon sa place au milieu des œuvres bonnes de Dieu. Plutôt, le péché établit en quelque sorte un axe sans précédent, le long duquel il est possible de tracer des degrés variables de bien et de mal. Bien que fondamentalement distinct de la bonne création, cet axe s’attache lui-même à la création comme un parasite. La haine, par exemple, n’a pas sa place au milieu de la bonne création de Dieu. Elle est inimaginable dans le contexte du plan de Dieu pour la Terre.
Néanmoins, la haine ne peut exister sans le substrat créationnel de l’émotion humaine et de la saine affirmation de soi. La haine participe simultanément au caractère bon de la création (la constitution psychique de l’homme comme partie de son humanité entière) et à la distorsion démoniaque de cette bonne création en quelque chose d’horrible et de mal. En somme, bien que le mal n’existe qu’en tant que distorsion du bien, il n’est jamais réductible au bien.
« L’ordre de la création » et « l’ordre du péché et de la rédemption »
Nous pouvons préciser ce point en parlant ici de deux « ordres » qui sont irréductibles l’un à l’autre. Selon les mots de Jean Calvin, nous devons distinguer « l’ordre de la création » de « l’ordre du péché et de la rédemption », qui ont les mêmes liens entre eux que la santé et le couple maladie-guérison. Ces deux ordres ne sont, en aucune manière, en harmonie l’un avec l’autre. Sur tous les points, pour ainsi dire, ils se situent à 90 degrés l’un de l’autre, comme la longueur et la largeur d’une figure plane.
La perversion de la création ne doit jamais être comprise comme une subdivision à l’intérieur de l’ordre de la création, et la création ne doit pas non plus être expliquée comme une fonction de la perversion et de la rédemption. En tant qu’ordres fondamentaux de toute réalité, ils coexistent – l’un original, l’autre accidentel ; l’un représentant la bonté, l’autre impliquant la difformité.
Ou alors, pour mieux clarifier l’idée, nous pouvons dire que le péché et le mal ont toujours le caractère d’une caricature – c’est-à-dire d’une image déformée qui comporte néanmoins certaines caractéristiques reconnaissables. Un être humain d’après la chute, bien qu’étant une parodie d’humanité, est toujours un être humain, non un animal. Une école humaniste est toujours une école. Une relation brisée est toujours une relation. Une pensée confuse est toujours une pensée. Dans chaque cas, le quelque chose qui, dans la création déchue, « est toujours », désigne le caractère durablement bon de la création – c’est-à-dire la fidélité de Dieu dans le maintien de l’ordre créé, malgré les ravages du péché. La création ne sera pas supprimée dans un sens définitif.
Le péché est complètement étranger aux desseins de Dieu pour ses créatures
Dans le présent contexte, nous devons souligner de nouveau le fait que ces deux ordres ne sont, en aucune manière, égaux l’un à l’autre. Le péché, une invasion extérieure de la création, est complètement étranger aux desseins de Dieu pour ses créatures. Il ne devait pas en être ainsi ; il n’en fait simplement pas partie. Toute théorie qui, d’une manière ou d’une autre, sanctionne l’existence du mal dans la bonne création de Dieu ne rend pas justice au caractère fondamentalement outrageux et blasphématoire du péché. D’une manière subtile et sophistiquée, cela rejette la responsabilité du péché sur le Créateur, plutôt que sur nous-mêmes en Adam.
Cet article est tiré du livre : La création retrouvée de Albert M. Wolters