Le « temps libre », un bonheur passager qui pointe à Dieu (Timothée Davi)

C’est une chronique bougrement intéressante intitulée « Le temps libre dans cette société du divertissement fait-il notre bonheur » du journal Le Monde qui a attiré notre attention pour cet article. Elle est signée par un certain Thomas Schauder, professeur de philosophie travaillant présentement à l’Institut universitaire européen Rachi, à Troyes (Aube).

Nous résumerons tout d’abord le propos de cet article pour ensuite en donner une analyse selon une vision du monde chrétienne.

La thèse de l’article est aussi succincte que stimulante : « le temps de loisir est devenu temps de consommation et de ‘diversion’ du travail taylorisé. »

Alors que les programmes télévisés se multiplient et semblent gagner une audience toujours plus importante, le philosophe français s’interroge sur la raison d’un tel phénomène.

Le loisir n’est pas le divertissement

En premier lieu, Thomas Schauder établit une distinction bienvenue entre loisir et divertissement. Il rappelle que le loisir a été considéré, de Platon à nos jours en passant par Pascal comme « le temps soustrait aux activités ‘biologiques’ du travail et du repos ». Ces temps de loisir sont dès lors consacrés au développement de : la vie politique, la culture, l’art, le sport, etc.

Or, souligne l’auteur, le taylorisme industriel a permis de libérer le temps de façon radicale, ouvrant ainsi un véritable marché destiné à produire et proposer des éléments non-nécessaires à la survie. Autrement dit, le temps de loisir est devenu un marché à part entière et a dès lors été récupéré par la logique du travail. Il est le prolongement de ce dernier, une activité destinée à échapper au travail pour mieux y revenir notent Theodor Adorno et Max Horkheimer en 1947 dans « L’industrie culturelle ».

Le loisir a donc subi une « double transformation » conclut le philosophe : « d’un côté, il est un temps de consommation ; de l’autre, un temps de « divertissement » au sens de « ce qui fait diversion », ce qui permet de regarder ailleurs, d’oublier les tracas de la vie réelle […]. »

Le divertissement

« Au contraire du loisir, le divertissement n’est pas du temps soustrait aux nécessités biologiques : il en fait partie intégralement » nuance Thomas Schauder. Auparavant, le repos était le pendant biologique du travail plus souvent manuel et donc physiquement fatigant. Aujourd’hui, cependant, à l’ère de la société taylorisée, le travail est plutôt psychologique. Son pendant logique se révélant alors être le divertissement qui serait, dans ce contexte, « aussi nécessaire que le pain » selon le philosophe.

Ce temps de divertissement n’est pas un temps d’inactivité, mais un temps de « diversion », une tentative active d’oublier, de se « vider la tête ». À ce titre, le divertissement cherche à rentabiliser le temps, fait partie intégrante du processus de production économique et sert le processus biologique.

Sortir de la fatalité du divertissement de la société taylorisée

Finalement, Thomas Schauder note, avec Pascal, que le plus grand ennemi de notre société contemporaine est « l’inactivité, synonyme de l’ennui ». Nous ne savons pas « rester tranquille », car nous ne voulons pas penser à notre « misère » comme l’écrivait déjà Pascal au XVIIe siècle : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser. » le dit-il autrement.

Le philosophe finit alors sa chronique par ces deux paragraphes très intéressants d’un point de vue chrétien :

« Le divertissement nous offre une solution pour être heureux, mais il nous fait manquer ce qui pourrait nous rendre véritablement heureux puisqu’il ne nous offre qu’une vision standardisée et impersonnelle du bonheur. Au lieu de « ne rien faire », nous ne « faisons rien » : nous occupons notre temps au lieu de prendre le temps de nous poser des questions, de penser, de contempler, de nous laisser aller à l’émerveillement. Nous nous « vidons la tête » au lieu de la remplir de tout ce qui pourrait donner un sens à nos actions.

Or le temps de l’inactivité est celui qui rend possible l’activité, d’inventer, de créer, de rêver, bref de nous soustraire réellement aux injonctions du marché et du travail. Aujourd’hui, la productivité et la richesse n’ont jamais été aussi importantes. L’occasion nous est offerte de réclamer un « droit à la paresse » (selon l’expression de Paul Lafargue), un droit à l’inutilité et au temps perdu. Et si ce droit devenait l’enjeu des luttes sociales de demain ? On a bien le droit de rêver… »

Le temps libre selon Dieu

Notons tout d’abord que l’analyse présente dans cet article est de grande qualité et nous ne pouvons que féliciter Thomas Schauder pour ses réflexions à ce sujet.

Que dire à ce sujet à partir d’une vision du monde chrétienne ?

L’on s’attardera plus spécifiquement sur l’aspect du loisir en tant que divertissement, tant dans sa dimension de bien de consommation que dans celle, étymologique, de « divertir », « se vider la tête ».

Comme l’auteur le souligne à juste titre, de nos jours, le divertissement revêt une utilité quasi-biologique. Face à la pression psychologique relative aux métiers du 21e siècle, nous avons, dans un sens bien réel, besoin de nous divertir. Tel divertissement peut être, dans une certaine mesure, anodin et personne ne peut donc absolument s’en passer.

Cependant, d’un point de vue chrétien, l’on ajoutera d’ores et déjà que si le divertissement, dans son essence, est inévitable et bon, certaines formes, « actualisations » de ce dernier sont manifestement mauvaises. Ainsi, le chrétien prendra soin à se divertir d’une façon qui : 1. Plaît et honore Dieu et sa volonté telle que révélée dans sa Parole. 2. Aime et respecte son prochain en tant qu’image de Dieu. 3. Aime et honore sa propre âme et son propre corps, image de Dieu et temple du Saint-Esprit. Toute activité allant à l’encontre de l’un ou plus de ces trois domaines sera dès lors à considérer avec prudence.

En outre, comme le philosophe le souligne juste après, le divertissement, s’il répond à un besoin de « repos biologique », n’offre toutefois pas un bonheur ultime et profondément véritable. Thomas Schauder d’appeler alors pour un retour du « ne rien faire », le « fare niente » intelligent stimulant l’inventivité, poussant à la contemplation et forçant à la réflexion.

L’on ne pourra que se réjouir de lire de tels mots sous la plume d’un philosophe non-chrétien. Le divertissement n’offre pas de « vrai bonheur ». Exactement. L’on restera cependant insatisfait par rapport à sa réponse : oui, le « fare niente », la réflexion, l’inventivité et autres devraient revenir dans nos vies chrétiennes, cependant ce « ne rien faire » ne constitue pas le vrai bonheur.

Pour rejoindre le philosophe, nous rappellerons que Pascal, philosophe chrétien, expliquait déjà que le divertissement non seulement ne constituait pas le vrai bonheur, mais, en plus, pouvait avoir l’effet néfaste de nous détourner de Dieu, d’échapper à notre misère, d’oublier que nous ne sommes que cendres et poussières. Autrement dit, le chrétien fera très attention à ne pas tourner son besoin biologique de divertissement en une idole.

Mais où se trouve donc le véritable bonheur dont le philosophe a tenté de parler ? La réponse courte à cette question est : en Dieu. Comme l’a si élégamment énoncé Augustin, nous avons un trou dans le cœur en forme de Dieu et nos âmes ne peuvent pas trouver de repos sans Lui.

La création, le monde et ce qu’il contient est un ensemble de choses « finies », empreintes d’une fatale finitude tandis que nos âmes, elles, sont marquées par l’éternité, car à l’image de Dieu. Seul le Dieu éternel, créateur et sauveur peut véritablement combler nos cœurs d’un bonheur véritable et éternel, lui-même.

L’homme qui cherche le bonheur ultime dans le divertissement et en fait une idole est tel un homme qui secoue et porte à ses lèvres un tableau représentant une source d’eau. La vision de cette source d’eau pourra peut-être étancher sa soif quelques instants, mais ultimement son entreprise est marquée de vanité. Il a besoin d’une véritable source d’eau vive, de Christ qui dit : « venez à moi, vous qui avez soif et vous n’aurez plus jamais soif. Je suis la source d’eau vive. »

Le véritable bonheur se trouve en Christ. Cela n’annule pas pour autant la nécessité, l’utilité et le plaisir du divertissement, ce bonheur secondaire. Tentant d’être « plus spirituels », beaucoup trop de chrétiens rejettent à tort le divertissement. Le même Seigneur qui nous appelle à être saints a aussi créé ce monde dans sa splendeur et nos esprits capables de mille inventions afin que nous puissions en jouir tout en lui rendant grâce pour toute chose.

Cependant, lorsque nous nous divertissons, frères et sœurs, souvenons-nous que nous sommes mortels – memento mori – que tout n’est que vanité sans Dieu – le livre de l’Ecclésiaste – et que Christ est notre véritable bonheur – memento Christi.

Autrement dit, comme le disait Paul : « Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. » (1 Co 10, 31) ou encore : « Et quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant par lui des actions de grâces à Dieu le Père. » (Col 3, 17). En conclusion, travaillons, reposons-nous, divertissons-nous pour la gloire de Dieu tout en trouvant notre bonheur ultime en Christ.

Le mot de la fin

Chers lecteurs, qu’en toutes choses vous puissiez prendre plaisir, rendre grâce et glorifier celui de qui, par qui et pour qui toutes choses sont : notre Seigneur Jésus-Christ, bonheur ultime de nos âmes, trésor de nos vies.