L’Église, irremplaçable (Matt Smethurst)
Pourquoi le peuple de Dieu doit se rassembler
Vous souvenez-vous de l’époque, depuis longtemps révolue, où aller à l’Église était une activité routinière, attendue et facile à tenir pour acquise ? Vous avez du mal à vous souvenir ? Eh bien, je ne peux pas vous en vouloir ; 2019 semble durer une éternité. Au cas où votre mémoire serait floue, une pandémie mondiale est survenue. C’est pourquoi la plupart d’entre nous ont passé des dimanches, mois après mois, en pyjama, à essayer de chanter en rythme et à prier pour que la connexion internet soit bonne durant la prédication. Et certains d’entre nous en sont encore là.
Tout cela est étrange, surtout pour ceux d’entre nous qui ont longtemps eu des soupçons à l’égard de l’« Église Internet ». L’idée que nous puissions remplacer le rassemblement incarné du peuple de Dieu par n’importe quel substitut pixélisé nous met mal à l’aise. Cette saison a exigé un niveau d’adaptabilité ecclésiale que je n’avais, du moins, pas envisagé auparavant.
Tous ces bouleversements pratiques m’ont-ils donc amené à réévaluer la valeur – voire la nécessité – des rassemblements en personne ? Pas du tout. Au contraire, cette saison m’a encore plus convaincu que l’« Église » en ligne ne pourra jamais remplacer la vraie église. Zoom est merveilleux, mais ce n’est pas le deuxième médiateur entre Dieu et les hommes.
Et j’imagine que je ne suis pas le seul à penser ainsi.
Souvent un don, jamais un remplacement
En tant que chrétiens, nous devrions recevoir le don de la technologie de Dieu avec gratitude. Oui, nous devons être prudents en matière de technologie, mais nous devons aussi faire attention à ne pas ignorer ses atouts et son potentiel. Qu’il s’agisse de vidéos préenregistrées, de services en direct ou de réunions en groupes de maison sur Zoom, ces plateformes numériques rendent possibles des choses qui ne le seraient pas autrement. Une prothèse est généralement préférable à l’absence d’un membre ; de même, les formes numériques de communion et de culte sont généralement préférables au fait de ne pas en avoir du tout.
Mais tout comme nous devrions être lents à nous plaindre de la technologie, nous devrions également être lents à nous en satisfaire – en particulier lorsqu’il s’agit de l’Église. Certaines choses dans la vie ne peuvent tout simplement pas être numérisées, et cela ne devrait pas nous surprendre en tant que chrétiens. Après tout, nous servons un Dieu qui s’est incarné parmi nous (Jean 1.14). Et la chair et le sang de Jésus n’étaient pas simplement un ajout esthétique, ils étaient essentiels à sa mission rédemptrice. Contrairement aux anciens gnostiques, nous insistons sur l’incarnation corporelle ; contrairement aux musulmans, nous insistons sur la crucifixion corporelle ; contrairement aux libéraux protestants, nous insistons sur la résurrection corporelle.
Nous ne vénérons pas un Sauveur pixélisé, et il ne nous a pas non plus rachetés pour être un peuple pixélisé. La technologie dans la vie de l’Église est souvent un don. Dieu n’a jamais voulu qu’elle soit un remplacement.
Là où deux ou trois sont connectés en mon nom ?
Il n’est pas rare d’entendre le rappel que l’Église est un peuple, et non un endroit. Et c’est vrai, relativement parlant. C’est certainement un correctif nécessaire pour ceux qui sont enclins à assimiler l’Église à un bâtiment. Mais cette maxime pratique n’est pas tout à fait complète. L’église locale n’est pas moins qu’un peuple, c’est vrai, mais elle est plus : c’est un peuple qui se rassemble à un endroit donné. Une église qui n’a pas de lieu de rassemblement – c’est-à-dire qui ne se rassemble jamais – n’est pas une église. Du moins, pas selon Jésus.
Sans aucun doute, Matthieu 18.20 est l’une des plus belles promesses de notre Seigneur : « En effet, là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » Mais remarquez d’abord que les croyants dont il parle sont physiquement ensemble. Ils partagent, du moins durant ce moment important, un lieu. Ce rassemblement n’est pas non plus fortuit ; il façonne l’identité des personnes qui se réunissent. Le rassemblement des personnes, on pourrait dire, définit les personnes qui se rassemblent.
De plus, à la lumière des versets précédents, Jésus ne parle pas de deux ou trois croyants qui échangent des demandes de prières à Starbucks. Il envisage une congrégation entière, réunie pour expulser quelqu’un de sa communauté, ce qui constitue l’acte culminant de la discipline d’Église (Matthieu 18.17). Et il promet à ces croyants – ceux qui se sont rassemblés pour se servir des clefs du royaume (Matthieu 18.18) – qu’il sera avec eux.
Cela est remarquable. Aussi peu impressionnante que puisse paraître au monde une Église qui croit à l’Évangile, Jésus autorise ses membres rassemblés à parler et à agir en son nom, avec son insigne – à délimiter les contours de son Église et à déclarer au nom du ciel qui lui appartient (Matthieu 18.15-20 ; 1 Corinthiens 5.4).
« Les uns les autres »
Considérez également la nature des épîtres du Nouveau Testament. Ce ne sont pas des lettres d’amour divines qui vous sont adressées, à vous, le chrétien individuel, ni des lettres destinées à des foules de croyants en général. La plupart sont écrites à des congrégations entières où des frères et soeurs se sont réunis pour s’aider les uns les autres à suivre Jésus. Ainsi, chaque commandement que nous entendons sous-entend la présence d’une congrégation.
On a beaucoup écrit sur les commandements utilisant les mots « les uns des autres » de la Bible, et pour cause : on en compte près de soixante au fil des pages du Nouveau Testament. Examinez-les :
Ayez de l’amour les uns pour les autres (Jean 13.35).
Accueillez-vous donc les uns les autres (Romains 15.7).
Afin … que tous les membres prennent également soin les uns des autres (1 Corinthiens 12.25).
Encouragez-vous les uns les autres (2 Corinthiens 13.11).
Portez les fardeaux les uns des autres (Galates 6.2).
Soyez bons et pleins de compassion les uns envers les autres (Éphésiens 4.32).
Instruisez-vous et avertissez-vous les uns les autres (Colossiens 3.16).
Poursuivez toujours le bien, les uns envers les autres comme envers tous (1 Thessaloniciens 5.15).
Confessez donc vos péchés les uns aux autres (Jacques 5.16).
Exercez l’hospitalité les uns envers les autres (1 Pierre 4.9).
Le fait de parcourir cette liste à notre époque technologique devrait susciter la gratitude de nos cœurs, car même en temps d’isolement, nous pouvons mettre en œuvre certains aspects de ces commandements. Il est possible, grâce à Dieu, d’aimer à distance. Et pourtant, c’est loin d’être pareil, n’est-ce pas ? Deux amoureux séparés par la guerre et forcés d’écrire des lettres ne diront probablement pas, en temps de paix : « Continuons à nous écrire, d’accord ? »
Malgré les bienfaits de l’ère numérique, la vie chrétienne – c’est-à-dire la vie en tant qu’église – est indéniablement amoindrie lorsque nous sommes séparés. Obéir aux commandements comportant les mots « les uns des autres » à distance, c’est comme écrire des lettres en temps de guerre. C’est peut-être nécessaire pendant un certain temps, mais cela ne remplace pas la réalité.
Servir en étant présent
Le fait que l’Écriture s’attende à ce que les croyants se rassemblent physiquement n’est pas arbitraire. C’est un moyen destiné à assurer notre survie spirituelle. Écoutez l’auteur de l’épître aux Hébreux :
Veillons les uns sur les autres pour nous inciter à l’amour et à de belles œuvres. N’abandonnons pas notre assemblée, comme certains en ont l’habitude, mais encourageons-nous mutuellement. Faites cela d’autant plus que vous voyez s’approcher le jour. (Hébreux 10.24-25)
Écoutez attentivement et vous entendrez une question implicite après les mots « à l’amour et à de belles œuvres » – la question est « comment ? » Comment, concrètement, nous incitons-nous les uns les autres à vivre pieusement ? La réponse : allez à l’église ! L’auteur de l’épître aux Hébreux est convaincu que le sujet phare de tout le chapitre – la gloire époustouflante de l’Évangile – s’incarne et se déploie au rythme des rassemblements, semaine après semaine, de votre église locale.
L’une de mes responsabilités préférées en tant qu’ancien est d’interviewer des personnes qui veulent devenir membres. J’encourage toujours la personne qui rejoint l’église à ne pas essayer de tout faire, mais à consacrer ses premiers mois à un seul service : servir en étant présent. Je leur explique que : « La meilleure façon pour vous de nous connaître, de nous servir et de nous aimer, et pour nous de vous connaître, de vous servir et de vous aimer, consiste simplement à être présent lorsque nous nous réunissons. »
Mais pourquoi appeler le fait d’être présent un service et non simplement une discipline ? Parce que service est le bon mot pour décrire cela ! Regardez à nouveau le verset : « N’abandonnons pas notre assemblée, comme certains en ont l’habitude, mais encourageons-nous mutuellement. » Vous entendez la structure « pas ça mais ça » ? « N’abandonnons pas notre assemblée, … mais » – quelle est l’alternative au fait de rester à la maison ? – « encourageons-nous mutuellement », le fait de « s’encourager les uns les autres ». Aller à l’église, c’est servir les autres ; se rassembler, c’est s’encourager. Comment pourrait-il en être autrement ? Vous ne pouvez pas encourager régulièrement ceux que vous ne voyez que sporadiquement.
Sans ce service qui provient du fait d’être présent à l’église, on ne peut pas être connu ; si on n’est pas connu, on ne peut pas être encouragé ; si on n’est pas encouragé, on ne persévéra pas. Nous nous rassemblons donc pour nous encourager mutuellement, et nous nous encourageons pour que nous puissions persévérer mutuellement. Cette invitation a tout à voir avec le fait de persévérer jusqu’au bout : « Encourageons-nous mutuellement. Faites cela d’autant plus que vous voyez s’approcher le jour. » (Hébreux 10.25)
Intuitions sanctifiées
Les intuitions changent au fil du temps ; c’est le cas à chaque génération qui passe. L’impensable devient possible, et après un certain temps, le possible devient désirable. Ce processus n’est en aucun cas toujours mauvais. Mais dans la mesure où nos intuitions ont été formées pour considérer l’église comme un produit ou un événement hebdomadaire – un service spirituel comparable à un drive-in ou à une prestation édifiante dispensée sur une scène – nous serons à l’aise avec les versions numériques. (Pour un regard perspicace sur cette dynamique, voir l’introduction du livre de Jonathan Leeman, One Assembly [trad. Une assemblée]).
Soyons honnêtes : si l’Église est fondamentalement ce qui se passe sur l’estrade, pourquoi ne pas s’en tenir aux pyjamas et au culte sur Internet ? Mais dans la mesure où nos intuitions se forment et se reforment selon la Parole de Dieu – dans la mesure où nous considérons le culte collectif comme une réunion de famille –, alors se connecter depuis nos salons commencera à être aussi insatisfaisant que passer un dîner de famille sur internet.
Cet article est une traduction de l’article anglais « The Church Irreplaceable » du ministère Desiring God par Timothée Davi.