Les arguments en faveur de l’existence de Dieu
La Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant constitue un moment décisif dans l’histoire de la pensée théorique. Ce livre se veut une critique détaillée des arguments traditionnels en faveur de l’existence de Dieu et pousse l’Église à répondre à certaines questions fondamentales. Comment devons-nous aborder l’apologétique (la défense de la foi) ? Comment pouvons-nous légitimement présenter des arguments en faveur de l’existence de Dieu sans tomber dans le piège des problèmes soulevés par Kant ? Plusieurs approches sont apparues en réponse à ces questions.
L’une des positions, connue sous le nom de fidéisme, soutient que nous ne pouvons pas avancer d’arguments convaincants en faveur de l’existence de Dieu et qu’au contraire, la croyance en son existence doit reposer sur la foi. De nombreux théologiens et chrétiens ont adopté ce point de vue. D’autres vont plus loin en affirmant que les gens doivent simplement faire un pas de foi dans le vide et espérer que quelqu’un les attrape.
Cette approche comporte des lacunes. Même si la foi constitue le cœur du christianisme biblique, il y a une différence entre foi et folie. Pourtant, les gens prétendent souvent que la voie de la chrétienté est celle de la foi au détriment de la voie de la raison. Par exemple, Tertullien, l’un des Pères de l’Église primitive, a demandé : « Qu’y a-t-il de commun entre Athènes et Jérusalem ? » Il a aussi fait cette affirmation : « Je crois le christianisme parce que c’est absurde. » Il entendait peut-être par cela que le christianisme est absurde d’un point de vue humain. Par contre, s’il entendait que le christianisme est objectivement absurde, il aurait commis une grave calomnie contre la personne de Dieu et le Saint-Esprit, qui est l’Esprit de vérité.
Une autre approche, appelée l’évidentialisme, soutient qu’un moyen de défendre la foi chrétienne consiste à faire appel à l’histoire. De nombreux apologistes adoptent cette approche et reconnaissent que, même si les arguments historiques ne constitueront jamais des preuves irréfutables, ils présentent tout de même un haut degré de probabilité qui donne lieu à ce qu’on appelle la certitude morale. Même si ces arguments tirés de l’histoire biblique ne donnent pas nécessairement la même certitude formelle que celle présente dans la déduction logique, ils sont certainement assez puissants pour empêcher les gens de trouver une échappatoire morale.
Dans le système judiciaire américain, lorsque quelqu’un est accusé d’un crime grave, la charge de la preuve incombe au demandeur qui doit prouver, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé est coupable. De même, les évidentialistes tentent de démontrer que les preuves historiques transmettent et prouvent l’existence de Dieu au-delà de tout doute raisonnable. En fait, les preuves sont tellement écrasantes que seul un insensé nierait leur conclusion.
Le problème inhérent à cette approche est que, même en présence d’une probabilité écrasante, le pécheur a toujours l’option de dire : « Vous ne l’avez pas prouvée sans l’ombre d’un doute. Peut-être qu’il n’est pas raisonnable pour moi d’en douter, mais vous n’avez pas prouvé l’existence de Dieu de façon concluante. » Un philosophe du nom de Gotthold Ephraim Lessing a utilisé la métaphore d’un fossé insurmontable qui sépare ce monde de celui de Dieu. Il a affirmé que les éléments fortuits faisant partie des événements historiques ne pourront jamais prouver l’existence de choses éternelles.
On croit souvent qu’il n’existe que deux catégories d’apologistes : les évidentialistes (dont nous avons déjà discuté) et les présuppositionalistes (que nous allons examiner dans un instant). Cependant, il existe une autre école de pensée appelée l’apologétique classique. La différence entre l’école classique et l’école évidentialiste est la suivante : les évidentialistes soutiennent que les preuves tirées de l’histoire et d’ailleurs indiquent que l’existence de Dieu est très fortement probable, alors que les classicistes soutiennent que ces preuves sont concluantes et convaincantes, et ne laissent aux gens aucune excuse pour ne pas croire en l’existence de Dieu.
Une nouvelle approche qui contraste avec l’évidentialisme et le classicisme a vu le jour au sein de la théologie réformée et y est devenue l’opinion de la grande majorité : le présuppositionalisme. Cornelius Van Til, véritable géant de la foi chrétienne, a beaucoup publié sur le sujet, et sa version de cette approche est la plus populaire.
Van Til a écrit en anglais, mais comme il était originaire des Pays-Bas et que l’anglais n’était pas sa langue natale, son style d’écriture n’est pas toujours facile à comprendre. Par conséquent, ses détracteurs s’opposent parfois entre eux concernant ce qu’il voulait réellement dire, et même certains de ses plus éminents étudiants divergent dans leur interprétation de ses enseignements.
Le point de vue présuppositionaliste affirme ceci : pour aboutir à la conclusion que Dieu existe et pour prouver son existence, il faut avoir comme prémisse de départ que Dieu existe. Autrement dit, à moins de présupposer l’existence de Dieu, on ne peut jamais parvenir à la conclusion qu’il existe. Une objection se présente : cette procédure repose sur le sophisme classique appelé petitio principii, raisonnement fallacieux dans lequel la conclusion apparaît dans les prémisses de ce qu’on doit prouver. Il s’agit là de la principale objection soulevée contre le présuppositionalisme.
Van Til, conscient qu’une telle accusation serait formulée, s’est défendu en disant que tout raisonnement est construit de façon circulaire, dans la mesure où son point de départ, sa position intermédiaire et ses conclusions sont tous imbriqués les uns dans les autres. Si l’on part d’une prémisse rationnelle et que l’on raisonne constamment de manière rationnelle, la conclusion sera rationnelle. Ainsi, Van Til a justifié son utilisation du raisonnement circulaire grâce à cette définition, soutenant qu’il n’était pas différent des autres approches, parce que tout raisonnement est circulaire en ce sens. Cependant, cette justification du raisonnement circulaire contient deux erreurs importantes.
La première erreur est celle du raisonnement circulaire qui, dans les catégories classiques de la logique, rend un argument invalide. La justification de l’utilisation du raisonnement circulaire produit une deuxième erreur : elle crée une équivoque, c’est-à-dire qu’un terme change de sens au milieu de l’argumentation. Van Til a justifié le raisonnement circulaire en disant que tout raisonnement est circulaire en ce sens que son point de départ et sa conclusion sont du même ordre, mais ce n’est pas ce que signifie le terme raisonnement circulaire. Une argumentation rationnelle, pour pouvoir être rationnelle, doit l’être uniformément. Pourquoi qualifier un raisonnement de circulaire alors qu’il s’agit en fait d’un raisonnement linéaire ?
Il est vrai que l’argumentation rationnelle repose sur des présuppositions : la raison, le principe de non-contradiction, la causalité, la fiabilité de base de la perception sensorielle et l’utilisation analogique du langage. Les partisans de Van Til affirment que ce dernier visait quelque chose de plus profond qu’un exercice superficiel de raisonnement circulaire. Ils prétendent qu’il disait plutôt que le fait même d’adopter une pensée rationnelle nécessite de présupposer l’existence de Dieu, car sans Dieu, il n’y a pas de fondement pour l’argumentation rationnelle. Ainsi, même si certains ne veulent pas l’admettre, défendre la raison présuppose le fondement de cette raison, qui est Dieu lui-même.
Les auteurs du classicisme s’accordent certainement sur l’idée que si la rationalité doit avoir un sens, et si les présuppositions épistémologiques sont solides, alors elles témoignent de l’existence de Dieu. Or, c’est exactement ce que l’apologétique classique essaie de prouver. Nous devons montrer aux gens que s’ils veulent être rationnels, ils doivent attester l’existence de Dieu, car la rationalité qu’ils présupposent exige l’existence de Dieu.
Outre ces erreurs de logique, la plus grande objection au présuppositionalisme est que personne ne commence par Dieu sauf Dieu. On ne peut pas penser à Dieu et connaître des faits sur Dieu avant toute autre chose à moins d’être Dieu. L’être humain prend premièrement conscience de lui-même et ensuite de l’existence de Dieu, et non l’inverse. Étant doté d’un esprit humain, il doit nécessairement commencer par ce qui se trouve sous son nez.
Le théologien Augustin d’Hippone a déclaré que la conscience de soi s’accompagne toujours d’une prise de conscience immédiate de sa finitude – ce moment où nous prenons conscience de nous-mêmes en tant qu’êtres et où nous comprenons que nous ne sommes pas Dieu. L’autonomie, idée selon laquelle une personne se donne sa propre loi, n’est pas contenue dans l’idée de conscience de soi. Si c’était le cas, ce serait en effet un péché de commencer par ce point. En réalité, prendre premièrement conscience de soi-même est un acquis de notre condition de créature. C’est le seul moment où chacun peut commencer à réfléchir. Nous ne pouvons pas penser premièrement aux autres et ensuite à Dieu, mais seulement à nous-mêmes, et à partir de là nous pouvons évoluer et découvrir que nous ne sommes pas du tout autonomes.
Si nous prenons premièrement conscience de nous-mêmes et si nous raisonnons correctement, loin d’aboutir à l’autonomie, nous finirons nécessairement par attester l’existence de Dieu. Les présuppositionalistes craignent qu’en argumentant de manière rationnelle et empirique, ils cèdent trop au monde païen. Quant aux classicistes, leur crainte à l’égard des présuppositionalistes est précisément la même : ils vont trop loin. Ils offrent un prétexte aux païens pour ne pas croire en l’existence de Dieu parce qu’ils constatent que leur approche viole les principes de la rationalité.
Pourtant, malgré les divergences de points de vue sur l’apologétique au sein de la théologie réformée, nous sommes tous d’accord pour affirmer que la réalité de l’existence de Dieu est la prémisse la plus importante pour bâtir sa propre vie et sa vision du monde. Nous savons que, selon Romains 1, le premier mensonge auquel les païens adhèrent est la non-existence de la puissance éternelle de Dieu et de sa divinité. En conséquence, leurs esprits s’obscurcissent, et plus ils sont brillants, plus les probabilités qu’ils prennent conscience de l’existence de Dieu par leur nature diminuent.
Ainsi, nous nous accordons tous pour affirmer qu’il est extrêmement important d’établir l’existence de Dieu tôt dans notre apologétique. Dans le chapitre suivant, nous aborderons la façon dont l’apologétique classique bâtit son argumentation en faveur de l’existence de Dieu.
Cet article est extrait du livre : « Dieu existe-t-il ? » de R.C. Sproul