L’étendue de la chute (Albert M. Wolters)
Tout d’abord, nous devons souligner le fait que la Bible enseigne clairement que la chute d’Adam et Ève dans le péché n’a pas été qu’un acte de désobéissance isolé, mais un événement revêtant une signification catastrophique pour la création dans son ensemble. Ce n’est pas uniquement toute la race humaine, mais aussi tout le monde non humain, qui a été happé à la suite de l’échec d’Adam, qui n’a pas écouté le commandement et l’avertissement explicites de Dieu. Les effets du péché touchent toute la création ; aucune chose créée n’est en principe indemne des effets corrosifs de la chute.
Que nous regardions les structures sociétales telles que l’État ou la famille, ou les entreprises culturelles telles que l’art ou la technologie, ou les fonctions corporelles telles que la sexualité et l’alimentation, ou quoi que ce soit à l’intérieur de la vaste étendue de la création, nous découvrons que l’œuvre bonne des mains de Dieu a été attirée dans la sphère de la mutinerie humaine contre Dieu. Dans un passage profond de l’épître aux Romains, Paul écrit :
« Jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement » (Ro 8.22).
C’est la création terrestre qui a été corrompue par le péché
Il faudrait maintenant noter que nous utilisons ici le mot création (suivant l’utilisation de Paul dans la citation) pour faire référence spécifiquement à la création terrestre, non à la création céleste. L’Écriture fait référence à une mutinerie dans les cieux parmi les anges, mais elle ne dit pas que le résultat a été que les cieux ont été infectés et réduits en esclavage. L’esclavage caractérise cependant le royaume terrestre des territoires de Dieu, la sphère ordinaire de la vie humaine et de l’expérience. C’est la création, dans ce sens terrestre, qui a été corrompue par le péché, d’un bout à l’autre.
Il n’est pas difficile de trouver des exemples des effets généralisés de la chute dans notre monde. La société est remplie de tels exemples. L’institution créationnelle du mariage est particulièrement attaquée dans l’Occident contemporain – le divorce et la monogamie en série sont des exemples de la perversion et de la violation du bon dessein de Dieu pour la vie qu’il a créée.
La famille est sévèrement plombée par les forces perturbatrices d’une société matérialiste dans laquelle les parents négligent souvent les intérêts de leurs enfants au nom de leurs carrières. L’État, en tant qu’ordonnance de Dieu, est déformé et dénaturé, comme en témoignent toutes les sortes de totalitarismes et de tyrannies qui existent dans le monde actuel. La distorsion est aussi évidente dans les systèmes politiques qui encouragent la mise en place de politiques gouvernementales qui ne répondent qu’aux pressions de groupes d’intérêts particuliers, plutôt que de répondre à la demande de justice véritable pour tous.
Nous voyons l’exploitation des structures créationnelles dans la guerre industrielle si répandue dans de nombreux pays occidentaux, et de la même manière, dans le gaspillage des ressources naturelles. Le mépris pour les conséquences sociales ainsi qu’une avidité éhontée corrompent la constitution créationnelle bonne des syndicats tout comme des corporations, qui devraient être gouvernés par des considérations de bons intendants.
La perversion de la création dans notre vie culturelle
Notre vie culturelle fournit aussi de nombreux exemples de la perversion de la bonne création de Dieu. Pensez au kitsch dans les arts, ou au mauvais goût en général dans la peinture, la musique et la poésie. Considérons, dans le domaine académique, le phénomène généralisé du scientisme, du bâclage méthodologique et du raisonnement fallacieux. Observez comment l’efficacité est devenue le principal souci dans le monde de la technologie et notez l’attachement exagéré à la technique dans les affaires humaines. Partout où nous nous tournons, les bonnes possibilités de la création de Dieu sont employées de façon impropre, tordues et exploitées à des fins pécheresses.
La distorsion de la création dans notre vie personnelle
La distorsion est peut-être plus évidente dans nos vies personnelles, où les effets de la chute sont plus facilement reconnus par les chrétiens. Le meurtre, l’adultère, le vol, le blasphème et de nombreux autres vices constituent des atteintes évidentes et généralisées au dessein créationnel de Dieu pour la vie humaine. Des violations comme les perturbations émotionnelles ou les maladies mentales sont peut-être moins évidentes, mais elles aussi constituent des distorsions des fonctions humaines créées et participent au soupir de la création. La Bible lie même la maladie corporelle, dont les causes se situent si souvent hors de la sphère de notre responsabilité personnelle, à la cause principale du péché humain (voir par exemple 1 Co 11.30).
Nous rencontrons la perversion de la création dans tout ce qui est mauvais dans le monde
Tout le monde sent intuitivement que dans tous les domaines mentionnés plus haut, nous devons distinguer ce qui est « normal » de ce qui est « anormal ». Bien qu’il soit difficile de formuler des critères pour définir la normalité, nous sommes forcés d’utiliser des mots qui distinguent les déviations de ce que nous considérons comme normal, que ce soit des mots ordinaires tels qu’anormal, malade ou malsain, ou des termes plus scientifiques tels que dysfonctionnel, inadapté ou pathologique. La Bible aussi reconnaît cette réalité, utilisant des termes forts tels que corruption, vanité et esclavage. Ce langage se rattache à un enseignement scripturaire central – à savoir que, partout où il existe quelque chose de mauvais dans le monde, et lorsque nous vivons ce qui est anti-normatif, mauvais, déformé ou malade, c’est là que nous rencontrons la perversion de la bonne création de Dieu.
Tout le mal et la perversité dans le monde sont le résultat de la chute de l’humanité
L’une des caractéristiques uniques et distinctives de l’enseignement de la Bible sur la situation humaine est que tout le mal et la perversité dans le monde sont en fin de compte le résultat de la chute de l’humanité, ou de son refus de vivre selon les bonnes ordonnances de la création de Dieu. La désobéissance et la culpabilité humaines se situent, en dernière analyse, à la racine de tous les maux de la terre. Que la chute soit à la racine du mal, cela est évident pour le mal spécifiquement humain, tel qu’il se manifeste, par exemple, dans les distorsions personnelles, culturelles ou sociétales. Puisque tous ont chuté en Adam, le mal dans la vie humaine en général trouve son origine dans l’hostilité envers Dieu.
Les effets du péché touchent aussi le monde non humain
Mais les effets du péché s’étendent au-delà de l’arène des affaires spécifiquement humaines et touchent aussi le monde non humain. Deux passages bibliques en particulier rendent l’étendue plus large du péché facilement reconnaissable. Le premier est dans Genèse 3.17, où, immédiatement après la chute, Dieu dit à Adam :
« le sol sera maudit à cause de toi ».
Le sol même est affecté par le péché d’Adam, rendant l’agriculture plus difficile. L’épître aux Romains nous fournit un passage plus long, auquel nous avons déjà fait allusion. Le passage entier dit ce qui suit :
Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité – non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, – avec l’espoir qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement (Ro 8.19-22).
Paul déclare que toute la création, pas uniquement le monde humain, est assujettie à la frustration (c’est-à-dire à la « vanité », à la « futilité » ou à « l’inutilité ») à cause de celui qui l’y a soumise (c’est-à-dire Adam, par sa désobéissance). Cette vanité semble être la même que « l’esclavage de la corruption » dont la création sera libérée. Nous apprenons ainsi de Paul que la création, dans son entièreté, est prise au piège dans les affres de l’anti-normativité et de la distorsion, même si elle doit un jour être libérée.
Toute la création participe au drame de la chute de l’homme et de la libération ultime en Christ. Bien que les implications ne soient pas faciles à comprendre, ce principe constitue un enseignement scripturaire clair. En fin de compte, semble-t-il, toutes les sortes de maux – que ce soit la maladie, la mort, l’immoralité ou l’inadaptation – sont liées, dans les Écritures, à la culpabilité humaine.
Cet article est tiré du livre : La création retrouvée de Albert M. Wolters