Pourquoi les pasteurs ont-ils une responsabilité unique dans le conseil ? (David Powlison)
Ce n’est pas une option
Vous devez conseiller. Ce n’est pas une option. Vous ne pouvez pas dire « non » comme s’il s’agissait d’un choix de carrière, d’une question de préférence personnelle ou de don que vous n’auriez pas. Cela ne signifie pas que tous les pasteurs auront le même équilibre entre les aspects public et privé du ministère. Le nombre d’entretiens que vous aurez visant « formellement » à conseiller dépend de beaucoup de facteurs. Certains pasteurs se soucieront énormément du soin des âmes, d’autres relativement peu. Mais chaque pasteur devrait consacrer un certain pourcentage de son ministère à l’art délicat d’une conversation ciblée, tout en guettant continuellement les occasions informelles présentes dans chaque interaction humaine[1].
Le ministère d’accompagnement d’un pasteur est très différent de toutes les autres professions liées à la relation d’aide. Nous allons considérer plusieurs particularités de ce ministère.
1. Votre appel au ministère personnel est tissé dans toutes les Écritures.
De nombreux passages expriment l’importance de la relation d’aide. Les textes classiques comprennent Actes 20.20, Galates 6.1,2,9,10, Éphésiens 3.14 – 5.2, 1 Thessaloniciens 5.14, Hébreux 3.12‑14 ; 4.12 – 5.8 ; 10.24,25, et beaucoup d’autres passages emploient l’expression « les uns les autres ». En fait, chaque endroit où il est question des besoins d’un individu peut être considéré comme un passage lié à la relation d’aide. Le ministère d’accompagnement d’un pasteur est unique. Quel autre conseiller est appelé par Dieu lui-même à conseiller et à former les autres à la relation d’aide ? Considérez brièvement trois passages.
Tout d’abord le second grand commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » L’amour s’intéresse aux besoins et aux luttes de votre prochain. L’amour comprend de nombreuses choses : des attitudes de patience et de bonté, des actions qui répondent aux besoins matériels et offrent une main secourable. L’amour comprend aussi une conversation franche au sujet de ce qui est important. Chose intéressante, le contexte initial du commandement comporte une illustration et une application de relation d’aide personnelle.
Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur ; tu auras soin de reprendre ton prochain, mais tu ne te chargeras point d’un péché à cause de lui. Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel (Lé 19.17,18).
Dieu choisit d’aborder une des questions les plus difficiles : comment aimer son prochain en dépit de ses manquements ? L’amour du prochain est illustré par un exemple de résolution de problème au moyen d’un avertissement fraternel, qui tranche avec l’esprit de jugement, l’évitement, l’amertume et l’agressivité qui sont si naturels. Vous agissez vous-même selon ce commandement en accompagnant pastoralement votre prochain. Lorsque les problèmes sont liés à un conflit interpersonnel, vous aiderez aussi ceux que vous accompagnez à apprendre à aimer de manière constructive et verbale. Vous bénéficiez d’une promesse merveilleuse ! « Je suis l’Éternel » (bon, compatissant, lent à la colère, fidèle, prêt à pardonner… sans pour autant tenir le coupable pour innocent). L’accompagnement pastoral dépend de ce Dieu et manifeste l’image même de ce Dieu au milieu des exigences de l’aide apportée aux personnes brisées. Vous manifestez les attributs mentionnés dans cette parenthèse. Les versets 6 et 7, dans le chapitre 34 du livre de l’Exode, manifestent la bonté et la gloire de Dieu – la bonté et la gloire sont des attributs communicables, l’image de Jésus formée en nous.
L’amour en paroles revêt aussi beaucoup d’autres formes. Vous demanderez : « Comment allez-vous vraiment ? Voudriez-vous parler ? Comment puis-je prier pour vous ? Où sont les sujets d’inquiétude ? Quelles sont vos joies et vos tristesses ? Avez-vous des jardins secrets ? Des luttes conscientes ? Des victoires réjouissantes ? Comment va votre relation avec Dieu et avec vos proches, géographiquement et affectivement ? Quels fardeaux pèsent sur vous ? Lorsque vous avez fait ou dit telle ou telle chose, que recherchiez-vous ? Comment gérez-vous l’anxiété, la colère ou la fuite (hors de la réalité) ? Comment gérez-vous cette belle réussite ou cette merveilleuse bénédiction ? » En posant ce genre de questions et en y répondant, nous entrons dans la vie de l’autre. Ce sont des portes ouvertes à la grâce, car ce sont des endroits où Jésus vient à la rencontre des individus. En tant que pasteur, votre prochain le plus évident (en dehors de votre famille), c’est le troupeau dont vous avez reçu la charge. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » vous appelle à la relation d’aide.
Considérez ensuite les Proverbes. Vous pouvez bien sûr prêcher sur les Proverbes. La sagesse elle-même crie dans les rues et invite les passants à écouter (Pr 8 – 9). Mais les Proverbes peuvent aussi vous aider à être un meilleur conseiller. La sagesse verbale est tenue en haute estime, et la plupart des choses que les Proverbes commandent ressemblent à des conseils chaleureux et personnalisés : de la part d’un père, d’une épouse et d’une mère, d’un ami véritable, d’un bon roi ou d’une personne sage. La sagesse est un don de relation d’aide. Quand il s’agit de distribuer ce don précieux, source de vie, la générosité de Dieu ne tient pas compte des différences de genre, d’ethnicité, d’âge, de richesse, de statut ou d’éducation. Il est évident que Dieu ne va pas communiquer ce don précieux de relation d’aide aux membres du corps de Christ et en priver les pasteurs ! Vous êtes appelé à devenir un homme sage.
Considérez, enfin, les épîtres pastorales. Les lettres de Paul à Timothée, Tite et Philémon sont des exemples de relation d’aide mis par écrit pour tous les temps. Chacune est adressée à un individu dont on connaît le nom. Chacune parle de circonstances particulièrement éprouvantes, considère des forces et des faiblesses précises, s’appuie sur la relation réelle qui existe entre le conseiller et la personne accompagnée. En tant que conseiller, Paul est tendre, instruit, transparent, direct, pertinent, encourageant, stimulant. Pouvez-vous légitimement prêcher sur un texte qui parle d’accompagnement personnel ? Bien sûr. Mais allez-vous vous contenter de prêcher sur un texte parlant d’accompagnement pastoral sans pratiquer aussi l’accompagnement pastoral ? Les épîtres pastorales vous appellent à faire de l’accompagnement.
2. Vous êtes appelé à faire l’impossible.
Il est curieusement réconfortant de savoir que votre vocation dépasse vos capacités. C’est aussi en cela que la vocation pastorale est unique. Vous ne pouvez pas vous appuyer sur vos dons, votre expérience, votre éducation, vos techniques, votre professionnalisme, vos qualifications, votre maturité et votre sagesse. Vous êtes appelé à faire ce que Dieu doit faire.
Dans 1 Timothée 4.6-16, Paul exhorte Timothée à se plonger dans la vérité révélée, dans une vie de foi, un amour actif, ainsi que dans l’œuvre du ministère en servant Jésus-Christ. En d’autres mots, Paul lui dit : « Exerce-toi, consacre-toi, mets ta foi en pratique et persévère, sans oublier de veiller sur toi-même et sur ton enseignement. » Pourquoi Paul prend-il soin de mentionner cela ? La raison est étonnante : « [Car] en agissant ainsi, tu te sauveras et toi-même, et tu sauveras ceux qui t’écoutent » (4.16). Comment ? Tu sauveras et toi-même et ceux qui t’écoutent ? C’est bien cela. Qui est suffisant pour ces choses ? Dieu seul nous sauve de la mort, du péché, des larmes, de la faiblesse, de nous-mêmes. Christ seul sauve par sa grâce, sa miséricorde et sa patience, en en payant le prix (1 Ti 1.14‑16). Seul l’Esprit guérit l’âme d’un égocentrisme autodestructeur et l’éveille à la foi et à l’amour. Pourtant ce grand et bon Médecin se sert volontairement de Timothée, un simple pasteur, comme d’un assistant médical dans le processus de guérison. Il se sert aussi de vous.
Notes :
[1] Pour en savoir plus sur le temps qu’un pasteur devrait consacrer à la relation d’aide et le genre de personnes qu’il devrait accompagner, voir « Le counseling pastoral », dans David Powlison, Dire la vérité avec amour, Trois-Rivières, Québec, Éditions Impact, 2017, p. 165-171.
Cet article est adapté du livre : « Pasteurs, vous êtes aussi des conseillers » de David Powlison