Pourquoi vous avez besoin d’un sabbat de votre technologie
Cet article est tiré du livre : Dieu, la technologie et la vie chrétienne de Tony Reinke
Rappelez-vous de votre finitude
Il se peut que nous travaillions toujours avec des machines ; pour autant, nous ne devons pas devenir une machine. Si le corps humain ressemble à une machine efficace sur bien des points, nous demeurons des êtres physiques limités dotés d’une âme éternelle. Notre vitesse de traitement est moindre que celle d’un superordinateur, et il ne s’agit pas d’une erreur de conception.
Depuis le jour où le mineur a créé le premier travail indépendant du rythme circadien, l’homme est enclin au surmenage. Nous avons tendance à vouloir être plus qu’humain. L’intelligence artificielle fait atteindre à ce désir de nouveaux sommets et appelle les hommes, sur le plan intellectuel, à égaler la vitesse d’apprentissage des machines. Pour preuve, Elon Musk veut que nous pensions que « nous sommes littéralement un cerveau dans une cuve. La cuve, c’est votre crâne. Tout ce que vous pensez être réel est un signal électrique[1] ». Vous n’êtes pas d’accord avec ce modèle d’ordinateur humain ? Musk a une prédiction sinistre à vous annoncer : « Quel que ce soit le rythme du progrès de l’intelligence artificielle, nous serons loin, très loin derrière », dit-il à propos des êtres humains. « La situation bénigne avec l’I. A. ultra-intelligente, c’est que nous serions tellement en dessous de l’I. A. en matière d’intelligence que nous ressemblerions à un animal de compagnie, un chat domestique. L’idée d’être un chat domestique ne m’enchante pas franchement »[2].
Pour rivaliser avec la super-intelligence, nous devons être plus que de simples cerveaux dans une cuve. Il nous faut devenir des cyborgs, des cerveaux augmentés par des capacités informatiques extrêmement puissantes. Les êtres humains, s’ils veulent rester pertinents, auront à s’adapter à la vitesse fulgurante des avancées technologiques. Notre identité doit revêtir une forme informatique. Nous devons devenir des machines.
Si nous cédons à cette tyrannie technologique, nous deviendrons sans nul doute des machines « cyborgifiées ». Nous ressemblerons à Charlie Chaplin en 1936 dans son film muet Les Temps modernes : incapable de garder la cadence effrénée de l’usine, il ne parvient pas à serrer les écrous assez vite et se retrouve aspiré par le tapis roulant, enroulé autour des engrenages de la machine, tordu comme une chaîne humaine. Nous ne sommes pas des machines. Notre pertinence ne se mesure pas par notre production incessante. Cependant, l’homme a toujours été enclin à travailler comme une machine dès l’ère de la machine à vapeur.
Dans l’une de ses prédications, Charles Spurgeon a confessé : « Je suis toujours prêt à essayer une nouvelle machine[3]. » En effet, il a été l’un des premiers à adopter la technologie et aimait beaucoup les innovations. C’était le Londonien parfait pour écouter le premier enregistrement de Thomas Edison. Il avait d’ailleurs un style si radical lorsqu’il prêchait qu’une caricature d’un journal de l’époque le montre en train de prêcher du toit d’un train express lancé à toute vitesse[4]. Spurgeon était moderne, rapide, révolutionnaire ; pourtant, il savait aussi appuyer sur la pédale de frein lorsque c’était nécessaire. Grâce à une métaphore sur la machine à vapeur, il a averti son Église de cette tendance chez l’être humain à se métamorphoser à l’image de leurs machines. « Notre religion n’est pas celle de la mécanique et de l’hydrostatique ; elle est spirituelle et doit être nourrie par des moyens spirituels[5]. » Cent jours avant que Leland Stanford ne pose le clou d’or, ou « Golden Spike », symbolisant l’achèvement du premier chemin de fer transcontinental américain qui ouvrirait de nouvelles portes pour les trajets ferroviaires rapides, Spurgeon exprimait son inquiétude : « De nos jours, tout le monde voyage en train rapide et travaille comme une machine à vapeur. L’usure mentale est terrible, et le conseil que le Grand Maître donne à ses disciples – d’aller dans le désert et de se reposer – est empreint de sagesse. Nous devrions lui prêter la plus grande attention[6]. » La déshumanisation technologique est vieille comme le monde ; la technologie, en effet, a toujours cherché à nous convaincre que le labeur devait être source d’anxiété[7].
Notre vitesse de traitement est moindre que celle d’un superordinateur, et il ne s’agit pas d’une erreur de conception.
À l’ère du numérique, l’homme apprend qu’il est censé devenir un « hyper-processeur », à l’image d’un ordinateur. À l’ère industrielle, l’homme était censé être aussi « hypercinétique » qu’une usine. Et à l’ère de la machine à vapeur, l’homme devait maintenir « l’hypertorque » ininterrompue de pistons. Le message communiquait systématiquement la peur : « Accélérez, ou bien vous allez vous faire écraser. » Et à l’ère de la vapeur, des machines ou des ordinateurs, l’Église rappelle au monde la nécessité et les bienfaits du repos du sabbat.
Malgré tous ses points forts, le technium ne comprendra jamais le sabbat ni les bases de l’anthropologie, d’ailleurs. Le technium ne reconnaît pas pourquoi les êtres humains ne sont pas des anges, pas des animaux, pas des robots, pas des machines, pas des microprocesseurs. C’est le rôle de l’Église de préserver la nature et la raison d’être de l’homme, et ce rôle lui incombera sans doute pendant très longtemps. Nous avons besoin de ralentir, de nous arrêter. La chaudière de notre activité commercialisable doit s’éteindre et refroidir. Notre jour de repos nous rappelle, à nous et au monde, que les êtres humains ont été créés pour un but plus grand que la computation et la production continuelles et hyperaccélérées.
[1] Elon Musk, @elonmusk, Twitter, 12 décembre 2019, trad. libre.
[2] James Titcomb, « Elon Musk: Become Cyborgs or Risk Humans Being Turned into Robots’Pets » [Elon Musk : Devenir des cyborgs ou risquer de voir les humains transformés en animaux de compagnie robotisés], trad. libre, < https://www.telegraph.co.uk/technology/2016/06/02/elon-musk-become-cyborgs-or-risk-humans-being-turned-into-robots/ > (page consultée le 11 septembre 2024).
[3] C. H. Spurgeon, The Metropolitan Tabernacle Pulpit, Sermons [La chaire du Metropolitan Tabernacle, Sermons], trad. libre, vol. 26, Londres, Passmore & Alabaster, 1880, p. 392.
[4] Ce croquis satirique représentant Spurgeon et intitulé « The Fast Train » [Le train à grande vitesse] a été exposé au British Museum.
[5] C. H. Spurgeon, The Metropolitan Tabernacle Pulpit, Sermons [La chaire du Metropolitan Tabernacle, Sermons], trad. libre, vol. 13, Londres, Passmore & Alabaster, 1867, p. 231.
[6] C. H. Spurgeon, The Metropolitan Tabernacle Pulpit, Sermons [La chaire du Metropolitan Tabernacle, Sermons], trad. libre, vol. 15, Londres, Passmore & Alabaster, 1869, p. 62.
[7] Psaumes 127.2.