Que faisons-nous de l’élection et de la réprobation ? (Kevin DeYoung)
La doctrine de l’élection, en particulier lorsqu’elle est combinée à sa contrepartie, la réprobation, a toujours été difficile à accepter pour certains chrétiens. Elle porte atteinte à des présuppositions de liberté humaine. Elle mine les idées présumées d’une autodétermination humaine, et elle supprime de la volonté humaine la décision définitive de notre salut. Il y a de ce fait généralement un aspect apologétique dans le discours sur la prédestination, non pas pour présenter des excuses à l’égard des enseignements de la Bible, mais pour s’assurer que les malentendus qui s’y glissent fréquemment sont bien dissipés et que l’on célèbre les bienfaits exceptionnels de ces préceptes. Voilà ce que nous trouvons dans les derniers articles du premier point des Canons de Dordrecht (1619) : une réponse aux accusations portées à tort contre la doctrine réformée de la prédestination.
En ayant cela en tête, examinons maintenant les trois grands thèmes de ces derniers articles (articles 14 à 18 du premier point).
La réprobation
Tout d’abord, Dordrecht clarifie ce que l’on entend par réprobation. D’une part, la réprobation est simplement le contraire implicite de l’élection. Quel que soit le point de vue sur ce sujet (même celui des arminiens), il est clair que certaines personnes sont désignées en vue d’être favorisées. C’est ce qui découle d’une élection. Si Dieu choisit certaines personnes (et pas d’autres), alors son décret doit porter à la fois sur les élus et les non-élus. On ne peut avoir l’un sans l’autre. Si votre théologie prend en compte l’élection (de personnes en particulier, tel que l’entend l’enseignement de Dordrecht), alors vous devez également accepter la réprobation. Cela n’est pas seulement logique, c’est également biblique. Le potier a le droit de faire, à partir d’un même bloc d’argile, certains récipients pour un usage honorable et d’autres pour un usage vil (Ro 9.21). Certaines personnes ont été destinées à trébucher (1 Pi 2.8) et à être condamnées (Jude 4). Dieu est souverain sur tous les humains et sur toutes choses.
Il ne fait aucun doute que la réprobation est une doctrine difficile, c’est pourquoi nous devons être très prudents afin de bien comprendre ce que les théologiens réformés ont (et n’ont pas) voulu dire à travers cette doctrine. La caricature que l’on en fait veut que les calvinistes croient en un Dieu qui choisit capricieusement de créer d’innocentes personnes afin de les damner ensuite pour sa gloire. Si c’est ce que les arminiens pensent être la conviction des calvinistes, ils devraient avoir honte. Et si c’est ce que les calvinistes pensent qu’ils doivent croire, ils devraient eux aussi avoir honte. Nous ne croyons pas que Dieu fabrique des jouets, simplement pour les pulvériser dans le micro-ondes de son jugement.
Un point nuancé
La doctrine de la réprobation venant de Dordrecht est en réalité beaucoup plus nuancée que la caricature le laisse entendre. Rappelons-nous ceci : du point de vue des Canons, nous traitons de personnes déjà déchues — non pas dans le déroulement du temps (nous parlons de la volonté de Dieu dans l’éternité passée), mais déchues dans le déroulement logique des décrets. La réprobation n’est donc pas le décret visant à punir des personnes innocentes. C’est plutôt la décision divine par laquelle « il y en a de non élus, ou qui ne sont point fait participants de l’élection éternelle de Dieu » (article 15). Tout cela signifie que la réprobation n’est pas « la cause de l’infidélité et de l’impiété », alors que « l’élection est la source et la cause de la foi et des œuvres bonnes ».
La théologie réformée traditionnelle fait la distinction entre deux éléments de la réprobation. Il y a d’abord la prétérition (la décision de laisser les pécheurs déchus dans leur méchanceté), et puis la condamnation (la décision de punir ceux que l’on a laissés dans cet état). Cette distinction devient très claire dans l’explication de Dordrecht selon laquelle Dieu laisse certaines personnes dans leur misère commune, ne leur accordant ni la foi ni la grâce de la conversion, et les condamnant finalement à un châtiment éternel (article 15). Autrement dit, Dieu ne condamne pas les gens parce qu’ils sont réprouvés. Ils le sont à cause de leur péché et de leur incrédulité, desquels, selon son bon plaisir et sa grâce souveraine, il a résolu de ne secourir que les élus.
Les enfants décédés
Le deuxième thème à noter dans cet article est l’approche de Dordrecht en ce qui concerne ceux qui meurent au cours de la petite enfance. Du contenu du Rejet des fausses accusations, nous pouvons déduire que certains avaient reproché à la théologie réformée une vision cruellement pessimiste du sort des enfants décédés, suggérant que ceux qui meurent à un très jeune âge doivent être jetés en enfer en tant que réprouvés. Or ce n’est pas le point de vue que soutiennent les Canons de Dordrecht. S’associant probablement au passage de 2 Samuel 12.23,24, où David dit qu’il ira vers son fils décédé (et console ensuite sa femme), on y affirme que les parents pieux « ne doivent pas douter de l’élection et du salut de leurs enfants que Dieu retire de cette vie pendant leur enfance » (article 17). Dordrecht ne se prononce pas sur le sort des enfants hors de l’alliance. Mais ces Canons font valoir que, puisque les enfants d’au moins un parent croyant sont saints et mis à part grâce à l’alliance (1 Co 7.14), nous pouvons avoir confiance que le Seigneur sera leur Dieu dans la mort tout comme il était leur Dieu durant leur vie en vertu de son alliance.
L’élection et la réprobation
Le troisième thème porte sur l’enseignement de l’élection et de la réprobation, et sur notre réaction à ces préceptes. Dordrecht tient pour acquis que l’enseignement de ces doctrines nécessite « un esprit de prudence » (article 14). Des calvinistes qui en sont encore à une phase de querelleur, qui brutalisent les gens avec l’élection (cela s’est vu) et qui essaient d’en faire pleurer d’autres avec la réprobation (cela s’est fait), agissent non seulement comme des chrétiens immatures, mais aussi comme de piètres calvinistes. Dans les écrits de Dordrecht, on reconnaît que ces choses doivent être enseignées « en temps et lieu » d’une manière qui rend gloire à Dieu et qui réconforte son peuple (article 14).
Un petit bémol
Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est le danger que les personnes entendant parler de réprobation se demandent si elles sont elles-mêmes réprouvées. Au début du XXe siècle, Max Weber a soutenu que derrière la célèbre éthique de travail protestante se trouvaient des calvinistes anxieux, cherchant de toutes leurs forces à prouver qu’ils étaient élus. La thèse de Weber a été largement discréditée dans les milieux universitaires, mais il est possible que cette caricature théologique — des réformés craignant la réprobation — survive. Cependant, ni Dordrecht ni la Bible d’ailleurs, ne nous encourage à plonger dans les profondeurs du décret éternel de Dieu. Au lieu de cela, la logique des paroles de Jésus, dans Jean 6.37, est : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi » (l’élection), et « je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi » (l’offre gratuite de l’Évangile). La doctrine de la prédestination ne devrait jamais être enseignée de manière à ce que les gens concluent, désespérés, qu’ils ne peuvent pas venir ; la doctrine doit être exprimée de telle sorte que les gens comprennent que par la grâce de Dieu, ils peuvent venir.
Cet article est tiré du livre : La grâce définie et défendue de Kevin DeYoung