Qu’est‑ce que l’apologétique ? (William Edgar)
Reconnaissons que le terme apologétique n’est pas un terme que l’on entend tous les jours. On pourrait même trouver des arguments pour éliminer ce mot compliqué et lui substituer un autre terme, bien qu’il en existe peu qui seraient pertinents. Nous pourrions utiliser le terme « défense de la foi », car il est vrai que l’Évangile a besoin d’être défendu face aux critiques hostiles. Mais ce terme ne résume de façon précise que certaines parties seulement de l’entreprise apologétique, car la défense n’est pas la seule et unique tâche de l’apologétique, qui implique aussi un élément plus positif.
Le terme « recommander la foi » est peut‑être meilleur, en tout cas il a l’air plus sympathique que le terme défense. Toutefois, il est peut‑être un peu poli, voire timide. On pourrait aussi dire « justifier la foi » (ou « revendiquer la foi »). Mais là encore, les termes semblent un peu belliqueux.
De toute façon, puisqu’il n’y a pas de grand enjeu sémantique autour du terme apologétique, il vaut mieux garder ce dernier et y ajouter des explications. En réalité, le mot a une origine noble. Étymologiquement, le terme provient du vocabulaire judiciaire grec. Il peut être traduit de manière précise par « éloigner une accusation ». Dans le mot apologétique, nous trouvons la préposition grecque apo qui signifie, dans ce cas, « se défaire d’une accusation ou d’un procès », ainsi que le mot logos. En grec, le mot logos est riche de sens, faisant référence premièrement à la « parole », par laquelle les pensées intérieures sont exprimées. Mais il signifie aussi le processus de la pensée lui‑même, soit la « raison ».
L’argumentation
Raisonner est une fonction variée pouvant impliquer une conversation, un discours, des comptes rendus ou une histoire. Le genre de raisonnement qui est central à l’apologétique est l’argumentation, qui a pour objectif de rassembler et d’organiser des preuves en faveur d’une personne ou d’une position. Les méthodes de persuasion utilisées dans une discussion peuvent être diverses, tant et aussi longtemps qu’elles permettent toutes de présenter des raisons convaincantes pour la défense d’un point de vue. L’apologétique, qu’elle soit ou non chrétienne, signifie alors plaider (argumenter) pour la défense d’une personne ou d’une position. Elle a pour connotation première la défense.
L’Apologie de Platon constitue l’un des exemples antiques les plus célèbres de ce type de défense. Dans ce chef‑d’œuvre philosophique, Platon rapporte la défense qu’oppose Socrate aux accusations et au procès dont il est l’objet. Socrate est accusé de trois crimes : introduction de nouvelles divinités à Athènes ; rejet des dieux officiels de l’État ; et corruption de la jeunesse. Dans son discours émouvant, Socrate en appelle à la vérité en âme et conscience et tente en vain de faire tomber les accusations qui pèsent contre lui. Il emploie ce qui est désormais communément appelé la méthode socratique, par laquelle on pose une série de questions pour mener l’adversaire dans une certaine direction. Lorsque les questions ont reçu les réponses attendues, l’opposant est désarmé.
La méthode socratique
La méthode socratique est une méthode qualifiée de dialectique parce qu’elle engage dans un dialogue qui fait un usage généreux d’ironies et de paradoxes afin d’approfondir les questions. Socrate racontait aussi beaucoup d’histoires dans ses exposés. Cette méthode est encore aujourd’hui utilisée dans les facultés de droit à juste titre ; l’approche dialectique antique se rapproche beaucoup de la pensée juridique.
De nombreux exemples de ce type de défense sont présents dans la littérature profane. L’un des écrits les plus connus et qui date de la fin de la Renaissance est l’Apologie de Raimond Sebond de Montaigne. Rédigé peu après le massacre des huguenots à la Saint‑Barthélémy (1572), le texte met en évidence non la suffisance, mais l’absolue vanité de la raison humaine. Notre connaissance est toujours expérimentale, en changement constant et encline à la fierté. L’ironie mordante de Montaigne, associée à sa grande connaissance des auteurs classiques, est si inspirante que sa façon de raisonner est encore pertinente aujourd’hui.
La défense de la foi est la mission de l’Église
Dans le contexte chrétien, l’apologétique revêt un sens particulier. La défense de la foi est la mission de l’Église depuis deux mille ans. Bien sûr, cette défense a pris différentes formes et a donné naissance à différentes versions de l’apologétique. Mais au fil des siècles, la discipline a été considérée comme une tâche nécessaire et urgente pour les croyants dans leur confrontation avec l’incroyance.
Il ne peut pas en être autrement parce que la foi chrétienne revendique la véracité. Quoi qu’on puisse en dire, la distinction entre vérité et erreur a toujours été fondamentale pour l’Église.
Différentes apologies, ou déclarations de la vérité, ont été développées afin de justifier la position chrétienne et de défendre la foi contre les attaques diverses et variées. L’opposition à la foi peut être ouvertement hostile ou plus subtile, mais elle demeure un fait qui nécessite la pratique de l’apologétique.
Cet article est tiré du livre : Le cœur a ses raisons de William Edgar