Qu’est-ce que la providence ?
Un jour, alors que je regardais un programme d’information, une publicité est apparue à propos d’une série de livres abordant le sujet des difficultés de la vie d’autrefois. L’une des images représentait un soldat confédéré de la guerre de Sécession allongé sur une civière et recevant les soins d’une infirmière et d’un médecin du front. Le narrateur de la publicité a alors indiqué que la lecture d’un de ces livres m’aiderait à comprendre combien il s’avérait difficile d’être malade dans les années 1850. Cette information a attiré mon attention, car il me semble que la plupart des gens aujourd’hui se focalisent sur leur époque et réfléchissent rarement à la façon dont les générations précédentes menaient leur vie quotidienne.
C’est un sujet sur lequel je me trouve en décalage avec mes contemporains. Je pense assez régulièrement au quotidien des générations précédentes, car j’ai pour habitude de lire des ouvrages écrits par des personnes qui ont vécu, dans de nombreux cas, bien avant le xxie siècle. J’aime particulièrement lire les écrits d’auteurs des xvie, xviie et xviiie siècles.
Je remarque invariablement chez ces auteurs une perception prononcée de la présence de Dieu. Ces hommes avaient conscience de la providence qui les entourait. Ils croyaient fermement que notre vie entière est sous la direction et la gouvernance du Dieu tout-puissant. Cela se voit par exemple dans le nom qui a été donné à l’une des premières villes de ce qui constitue aujourd’hui les États-Unis d’Amérique, à savoir Providence (fondée en 1636). La notion de providence était également omniprésente dans les correspondances personnelles d’hommes ayant vécu dans les siècles précédents, tels que Benjamin Franklin et John Adams. Les gens parlaient de « providence bienveillante » ou de « providence furieuse ». Dieu était directement impliqué dans la vie quotidienne des gens.
La situation est très différente à notre époque. Mon défunt ami James Montgomery Boice avait l’habitude de raconter une anecdote humoristique qui illustrait bien la mentalité actuelle à l’égard de Dieu et de son implication dans le monde. Dans cette anecdote, un alpiniste glisse sur une corniche et il est sur le point de faire une chute mortelle de plusieurs milliers de mètres. Mais alors qu’il commence à tomber, il s’accroche à la branche d’un arbre minuscule et tout rabougri qui pousse dans une fissure de la falaise. Cependant, tandis qu’il s’accroche comme il peut à cette branche, les racines de l’arbre commencent à se détacher, et le grimpeur se retrouve face à une mort certaine. Alors, il crie vers le ciel : « Y a-t-il quelqu’un là-haut qui puisse m’aider ? » Il entend alors une voix forte de baryton provenant du ciel lui répondre : « Oui. Je suis là et je vais t’aider. Lâche la branche et fais-moi confiance. » L’homme lève alors les yeux vers le ciel, puis les fait retomber vers l’abîme. Il élève finalement de nouveau la voix pour demander : « Y a-t-il quelqu’un d’autre là-haut qui puisse m’aider ? »
J’aime cette histoire, car je trouve qu’elle illustre bien la mentalité culturelle de notre époque. Dans un premier temps, le grimpeur demande : « Y a-t-il quelqu’un là-haut ? » La plupart de ceux qui vivaient au xviiie siècle partaient du principe qu’il y avait effectivement quelqu’un là-haut. Il ne faisait guère de doute dans leur esprit qu’un Créateur tout-puissant régissait l’univers. Mais nous vivons à une période de scepticisme sans précédent quant à l’existence même de Dieu. Oui, de nombreux sondages indiquent qu’entre 95 et 98 % des personnes interrogées en Amérique du Nord croient en une sorte de dieu ou de puissance supérieure. Je suppose que cela s’explique en partie par l’impact de la tradition ; il est difficile d’abandonner des idées qui ont été précieuses pendant des générations. Par ailleurs, dans notre culture, l’athéisme débridé entraîne encore une certaine stigmatisation. Je crois aussi que nous ne pouvons échapper à la logique qui nous force à supposer qu’il doit y avoir une sorte de cause fondamentale et ultime à ce monde tel que nous le connaissons. Mais de manière générale, lorsque l’on interroge davantage les gens et que l’on commence à discuter avec eux de ce qu’ils entendent par « puissance supérieure » ou « être suprême », il s’avère qu’ils croient davantage en un « ça » qu’en un « il » – une sorte d’énergie ou de force indéfinie. C’est pour cette raison que le grimpeur demande : « Y a-t-il quelqu’un là-haut ? » À ce moment-là de sa vie, il reconnaît son besoin d’un être personnel qui ait la charge de l’univers.
Il y a un autre aspect de cette anecdote qui est, à mon avis, significatif. Alors qu’il est sur le point de tomber, l’alpiniste ne se contente pas de demander : « Y a-t-il quelqu’un là-haut ? » Il précise : « Y a-t-il quelqu’un là-haut qui puisse m’aider ? » Nous voyons bien là le genre de question que se pose l’homme moderne. Il veut savoir s’il existe quelqu’un en dehors de la sphère de sa vie quotidienne qui pourrait lui venir en aide. Mais je pense que cet alpiniste pose en réalité une question encore plus fondamentale. Il veut non seulement savoir si quelqu’un peut l’aider, mais aussi si cette personne est prête à l’aider. C’est la question qui est au cœur de l’esprit de l’homme et de la femme modernes. Autrement dit, ils veulent non seulement savoir s’il y a une providence, mais également si elle est froide et insensible, ou bien bonne et compatissante.
Par conséquent, dans cet ouvrage, je chercherai à déterminer non seulement si oui ou non il y a quelqu’un, mais également si ce quelqu’un est capable et disposé à intervenir dans ce monde dans lequel nous vivons.
Un univers fermé et mécaniste
Parmi les idées qui ont façonné la culture occidentale, l’une des plus importantes est l’idée d’un univers fermé et mécaniste. Cette vision du monde a persisté pendant quelques siècles et exercé une influence considérable sur la façon dont les gens conçoivent la vie. Je dirais que dans le monde séculier, l’idée dominante est celle d’un univers fermé à toute forme d’intrusion extérieure, un univers qui fonctionne purement grâce à des forces et des causes mécaniques. En un mot, la question qui se pose à l’homme moderne est celle de la causalité.
L’influence négative de la religion dans la culture occidentale semble susciter un tollé croissant. La religion est considérée comme une force qui maintient les gens enfermés dans les sombres époques de la superstition, fermant leur esprit à toute compréhension des réalités du monde que la science a dévoilées. La religion paraît de plus en plus considérée comme le pôle opposé de la science et de la raison. Il semblerait que la science soit réservée à l’esprit, à la recherche et à l’intelligence, tandis que la religion serait une affaire d’émotions et de sentiments.
Il existe pourtant une certaine tolérance à l’égard de la religion. Les médias expriment souvent cette idée que chacun a le droit de croire ce qu’il veut ; l’essentiel est de croire en quelque chose. En définitive, il importe peu que vous soyez juif, musulman, bouddhiste ou chrétien.
Quand j’entends de tels commentaires, j’ai terriblement envie de m’écrier : « Et la vérité alors, a-t-elle une quelconque importance ? » L’essentiel, à mon humble avis, est de croire la vérité. Cela ne me satisfait pas de croire n’importe quoi simplement pour le plaisir de croire. Si ce que je crois n’est pas vrai – si c’est superstitieux ou fallacieux – je veux en être libéré. La mentalité de notre époque semble pourtant affirmer qu’en matière de religion, la vérité est insignifiante. C’est dans la science que nous pouvons trouver la vérité. De la religion, nous ne retirons que de bons sentiments.
On avance parfois l’idée très simpliste qu’autrefois Dieu était considéré comme la cause de tout, car la superstition religieuse était monnaie courante. Si quelqu’un tombait malade, la maladie était attribuée à Dieu. À présent, on nous explique bien sûr que les maladies sont dues à des micro-organismes qui envahissent notre corps, et que ces petits organismes agissent selon leur nature, en faisant ce pour quoi ils ont évolué. De même, alors qu’autrefois, les gens croyaient qu’un tremblement de terre ou un orage était causé par la main de Dieu, aujourd’hui on nous assure qu’il y a des raisons naturelles à ces événements. Ils se produisent à cause de forces qui font partie de l’ordre naturel des choses.
Au xviiie siècle, un livre écrit par Adam Smith est devenu un classique de la théorie économique occidentale : La richesse des nations. Dans ce livre, Smith s’est efforcé d’appliquer la méthode scientifique au domaine de l’économie dans le but de découvrir les causes de certaines réactions et contre-réactions économiques sur le marché. Smith voulait couper court à la spéculation et identifier les causes fondamentales qui produisent des effets prévisibles. Mais même en appliquant cette recherche scientifique au réseau complexe des actions et réactions économiques, il a continué à parler de « main invisible ». « Autrement dit, affirmait-il, il y a des causes et des effets qui se produisent dans ce monde, mais nous devons reconnaître qu’il doit y avoir avant tout un pouvoir causal ultime, sinon il n’y aurait pas de pouvoirs causaux intermédiaires. Ainsi, l’univers entier est orchestré par la main invisible de Dieu. » De nos jours, cependant, nombreux sont ceux qui se focalisent si intensément sur l’activité immédiate de la cause et de l’effet qu’ils en ignorent ou nient la puissance causale globale qui est à l’origine de toute forme de vie. L’homme moderne a foncièrement éliminé toute notion de providence.
Le Dieu qui voit
La doctrine de la providence est l’une des plus fascinantes, mais aussi des plus importantes et des plus complexes de la foi chrétienne. Elle traite de questions délicates, telles que : « Comment le pouvoir causal de Dieu interagit-il avec le nôtre ? » ; « Le règne souverain de Dieu affecte-t-il nos libres choix ? » ; « Le gouvernement de Dieu a-t-il un lien avec la présence du mal et de la souffrance dans ce monde ? » et « La prière a-t-elle une influence sur les décisions providentielles de Dieu ? » Autrement dit, quel impact la main invisible de Dieu a-t-elle sur notre manière de vivre ?
Commençons par une définition simple. Le mot providence a pour préfixe pro-, qui signifie « avant » ou « devant ». La racine vidence vient du verbe latin videre, qui signifie « voir » ; c’est de ce terme que provient notre mot français vidéo. Ainsi, le mot providence signifie littéralement « voir à l’avance ». La providence de Dieu fait donc référence au fait que Dieu voit les choses avant qu’elles ne se produisent.
Il ne faut pas confondre la providence et la préconnaissance ou prescience de Dieu. La préconnaissance est sa capacité à arpenter les couloirs du temps et à connaître le dénouement d’une action avant même qu’elle ne commence. Néanmoins, l’utilisation du mot providence en référence à la gouvernance active de Dieu dans l’univers est appropriée, car il est en effet un Dieu qui voit. Il voit tout ce qui se passe dans l’univers. Tout est visible à ses yeux.
Pour certains, cette éventualité est l’une des plus terrifiantes qui soient – l’idée que cette entité puisse être, comme le déplorait Jean-Paul Sartre, un voyeur cosmique ultime qui regarderait à travers le trou de la serrure céleste et observerait chaque action menée par chaque être humain. S’il y a quoi que ce soit dans le caractère de Dieu qui éloigne les gens de lui davantage que sa sainteté, c’est son omniscience. Nous éprouvons tous un profond désir d’intimité, le besoin que personne ne s’immisce dans les secrets de notre vie.
Lorsque le péché est entré dans le monde, lors de la première transgression, Adam et Ève ont immédiatement éprouvé un sentiment de nudité et de honte (voir Ge 3.7). Ils ont réagi en essayant de se cacher de Dieu (v. 8). Ils ont fait l’expérience du regard de la providence divine. Comme l’alpiniste dans mon anecdote précédente, nous voulons que Dieu nous regarde lorsque nous avons besoin d’aide. Mais le reste du temps, nous préférons qu’il nous ignore, car nous voulons garder notre intimité.
Dans un épisode marquant du ministère de notre Seigneur, les scribes et les pharisiens ont traîné devant Jésus une femme qu’ils avaient surprise en plein adultère. Ils lui ont rappelé que la loi de Dieu exigeait qu’elle soit lapidée, mais ils étaient curieux de voir comment il interviendrait. Pendant qu’ils lui parlaient, il s’est baissé et a commencé à écrire quelque chose par terre. Il s’agit là de la seule occurrence enregistrée de Jésus écrivant quelque chose, et nous ne savons pas ce qu’il a griffonné. Mais il nous est dit qu’il s’est remis debout et a déclaré : « Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle » (Jn 8.7b). Puis, il a recommencé à écrire sur le sol. Alors les scribes et les pharisiens ont commencé à s’en aller, l’un après l’autre.
Pure spéculation de ma part ici, mais je me demande si Jésus n’aurait pas écrit par terre certains des péchés secrets que ces hommes tentaient tant bien que mal de dissimuler. Peut-être a-t-il écrit « adultère » et l’un des hommes, infidèles à sa femme, l’a lu et s’est enfui. Il a peut-être écrit « fraude fiscale », et l’un des pharisiens, qui n’avait pas rendu à César ce qu’il lui devait, s’est empressé de rentrer chez lui. Du fait de sa nature divine, Jésus avait la capacité de voir de manière pénétrante derrière les masques que les gens portaient, dans les recoins où ils étaient les plus vulnérables. Cela fait partie du concept de providence divine. Il implique que Dieu sait tout de nous.
Comme je l’ai souligné plus haut, nous trouvons souvent cette vision divine inquiétante, mais le concept de la vision de Dieu, du Dieu qui nous voit, devrait plutôt nous réconforter. Jésus a un jour dit ceci : « Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou ? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père » (Mt 10.29). Cet enseignement a inspiré la chanson bien connue « His Eye Is on the Sparrow » (« Son œil est sur le moineau »). Vous rappelez-vous les paroles ? « Son œil est sur le moineau, et je sais qu’il me regarde1 ». Je crois que l’auteur de ce chant avait compris ce que Jésus voulait dire – chaque fois qu’un petit oiseau tombe au sol, Dieu le voit. Il ne néglige pas même le moindre détail de l’univers. Au contraire, il le gouverne en ayant une conscience totale de tout ce qui s’y passe.
Oui, ce genre de connaissance intime peut s’avérer effrayante. Toutefois, comme nous savons que Dieu est bienveillant et attentionné, sa profonde connaissance de toutes choses est un réconfort. Il sait ce dont nous avons besoin avant même que nous le lui demandions. Et lorsque nous sommes dans le besoin, il est à la fois apte et désireux de nous aider. Pour moi, il n’y a rien de plus réconfortant que de savoir qu’il existe un Dieu de providence qui est conscient non seulement de chacune de mes transgressions, mais aussi de chacune de mes larmes, de chacune de mes douleurs et de chacune de mes peurs.
1 Tiré de l’hymne « His Eye Is on the Sparrow » (Son œil est sur le moineau) de Civilla D. Martin et Charles H. Gabriel, 1905, trad. libre.
Cet article est extrait du livre : « Dieu contrôle-t-il toutes choses? » de R.C. Sproul