Les foules, la culture de l’annulation et le courage
Elle a le pouvoir de rendre les timides courageux, les bons meilleurs, ou les mauvais dévastateurs : les foules. Lorsque les passions sont partagées, elles gonflent, portant des actions au statut de légende ou d’infamie. Le pouvoir du rassemblement peut construire une société meilleure ou la détruire.
Nous avons déjà été témoins (et peut-être pris pour acquis) du bien et du bon sens des groupes. Nous avons été témoins de manifestations pacifiques à notre époque, et nous avons lu des histoires à propos de ceux qui se sont tenus (et ont souffert) ensemble pour des causes transcendantes dans le passé – certains d’entre nous ont eu la chance de les entendre de la bouche même de nos parents et grands-parents. Par-dessus ces derniers, l’Église elle-même est un peuple rassemblé, une congrégation sans prétention qui est en train de conquérir le monde. Mais pour ce qui semble être la première fois, ma génération a commencé à voir le pouvoir destructeur de l’assemblée – ou, pour reprendre une expression tirée du titre d’un livre récent, la folie des foules.
De vieux proverbes sont devenus visibles : « Ne vous y trompez pas : “les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs.”. » (1 Corinthiens 15.33) La mauvaise compagnie, lorsqu’elle existe, peut corrompre les bons et aggraver les mauvais. Il faut une méchanceté impudente pour tenter d’incendier une entreprise, de piller un supermarché ou de s’introduire dans une mairie, mais même un homme honnête, ivre de l’adrénaline du troupeau, peut faire cela quand d’autres le font aussi.
Anatomie d’une émeute
En cette période d’incertitude, de peur, de colère et de corruption, nous pouvons nous consoler en réalisant qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Les problèmes d’aujourd’hui, aussi réels qu’ils soient (et peuvent le devenir), étaient d’abord ceux d’hier. C’est donc une bénédiction indicible que de posséder une Bible. Ses solutions n’expirent jamais.
L’incitation des gens à la folie se trouve partout dans l’Écriture (ce que je remarque plus que jamais). L’un des personnages les plus méconnus de la Bible est peut-être la foule – nul n’est plus tristement célèbre que celui qui a utilisé sa voix pour scander avec Satan : « Crucifie-le ! Crucifiez-le ! »
Nous voyons également la folie des foules dans Actes 19. Une foule s’est soulevée contre Paul, une expérience qu’il a probablement résumée plus tard aux Corinthiens : « J’ai combattu avec des bêtes à Éphèse. » (1 Corinthiens 15.32) Si des bêtes sont lâchées dans notre pays, je prie pour que, comme pour Paul à Éphèse, la folie des foules se heurte à la folie de l’amour chrétien. Mais d’abord, examinons l’anatomie de l’émeute à Éphèse.
L’instigateur se lève
À cette époque, il se produisit un grand trouble au sujet de la voie du Seigneur. En effet, un orfèvre du nom de Démétrius . . . (Actes 19.23-24)
Ce que de nombreux citoyens ont reconnu comme une émeute religieuse à Éphèse a commencé, et je crois que c’est le cas de beaucoup d’entre elles aujourd’hui, à cause de motifs moins importants et moins visibles. Des hommes aux intentions cachées ont conspiré ensemble et utilisé les masses à des fins cachées. Ce « grand trouble » a commencé par la cupidité d’un orfèvre du nom de Démétrius.
Démétrius a fait fortune en fabriquant des idoles au service d’Artémis, la déesse éphésienne de la fertilité, qui serait née à Éphèse. Plusieurs fois par an, les Éphésiens organisaient des célébrations d’un mois en son honneur, avec de la musique, du théâtre, des banquets, des concours d’athlétisme et même des matchs à mort. Ces festivals attiraient de nombreux visiteurs, et encore plus d’argent. De telles célébrations « procurai[en]t un gain considérable aux artisans » (verset 24), des artisans tels que Démétrius.
Or le christianisme, par l’intermédiaire de l’apôtre Paul, a fait du tort à ce commerce en persuadant beaucoup de gens « les dieux fabriqués par la main de l’homme ne sont pas des dieux » (Actes 19.26). Pour tenter de protéger son portefeuille, Démétrius a utilisé trois stratégies pour détruire Paul.
Tout d’abord, il a créé une tribu. Il n’a pas poursuivi Paul lui-même ni intenté de recours juridique ; il a plutôt rassemblé une tribu. Démétrius « rassembla » ses compagnons artisans, « ceux qui exerçaient une activité similaire » (Actes 19.25). Il a rassemblé d’autres personnes qui perdaient de l’argent à cause de la voie du Seigneur. Démétrius connaissait le pouvoir d’une foule, et il lui fallait une petite foule pour en engendrer une plus grande.
Ensuite, il a fait ce que font tous les démagogues : « Il les rassembla . . . et dit » (Actes 19.25). Les instigateurs sont des hommes qui parlent. Ils parlent, ils persuadent, ils sont passionnés. Il commence ainsi :
Vous savez que notre prospérité dépend de cette industrie. Or, vous voyez et entendez dire que non seulement à Éphèse, mais dans presque toute l’Asie, ce Paul a persuadé et détourné une grande foule en disant que les dieux fabriqués par la main de l’homme ne sont pas des dieux. Cela risque non seulement de discréditer notre activité, mais aussi de réduire à néant l’importance du temple de la grande déesse Artémis et même de dépouiller de sa majesté celle que toute l’Asie et le monde entier vénèrent. (Actes 19.25-27)
Constatez combien sa propagande est bien conçue. Il prend soin d’inclure de multiples motivations pour les rallier à sa cause. Il commence d’abord par sa préoccupation première, sa prospérité, puis passe à une préoccupation tertiaire directement liée à la première : la religion. Les meilleurs chasseurs posent plusieurs pièges. Dans les sociétés religieuses, les agitateurs tordent souvent le sentiment religieux à leurs propres fins.
« À ces mots, [les artisans] furent remplis de colère et se mirent à crier : “Grande est l’Artémis des Éphésiens !” » (Actes 19.28). Mais qu’en est-il de « ces mots » qui les a rendus furieux ? Était-ce la menace qui pesait sur la renommée de leur déesse – ou la perte de leur prospérité liée à cette renommée ?
Pourtant, remarquez que la principale préoccupation financière de Démétrius et des artisans n’est pas visible une fois qu’ils sont dans la rue. Leur mantra devient simplement « Grande est l’Artémis des Éphésiens ! » Ils masquent leurs motivations financières avec des motivations religieuses. Ils réfléchissent à la façon dont ils pourraient être entendus. Ils savent que leur campagne ne survivrait pas si leurs intérêts étroits étaient défendus, en criant : « Grande est la richesse que nous accumulons grâce aux idoles de l’Artémis des Ephésiens ! » Il en va de même pour tous les démagogues efficaces d’aujourd’hui.
La foule (désemparée) s’empare de la ville
Les uns criaient une chose, les autres une autre, car la confusion régnait dans l’assemblée et la plupart ne savaient pas pourquoi ils s’étaient réunis. (Actes 19.32)
Les foules dépendent souvent de slogans généraux, de griefs non spécifiés, d’objectifs vagues (voire inexistants) sous-tendant leur rassemblement et de peu ou pas de solutions de changement autres que la destruction. Ils pensent avec leur rage, et beaucoup sont pris dans la marée. Quelque chose d’important semble se produire – beaucoup semblent savoir pourquoi ils se sont rassemblés, alors pourquoi ne pas les rejoindre ? Ce n’est qu’un mardi après tout, rien de mieux à faire. Le tumulte du groupe apaise la petite voix de la conscience.
C’était donc à Éphèse. Après que la petite foule ait rempli les rues avec « Grande est l’Artémis des Éphésiens », « toute la ville fut dans l’agitation » (Actes 19.29). Ce n’est pas le type de confusion qui vous pousse à vous arrêter et à poser des questions, mais la confusion qui favorise les agressions et les enlèvements : « Ils se précipitèrent tous ensemble au théâtre en entraînant avec eux Gaïus et Aristarque, des Macédoniens compagnons de voyage de Paul. »
Le Saint-Esprit nous informe maintenant que – tenez-vous bien – « la plupart ne savaient pas pourquoi ils s’étaient réunis ». La plupart ne savaient pas pourquoi ils étaient vraiment là. Ce n’étaient pas des artisans, ils n’ont pas participé au rassemblement initial de Démétrius où ce dernier a galvanisé la foule, et ils étaient d’accord pour dire qu’Artémis était géniale, mais la plupart ne savaient pas quel était le rapport avec la prise en otage de deux Juifs. Mais ils sont restés, aidant et encourageant ceux qui savaient ce qu’ils faisaient.
La mise en place de la culture de l’annulation
Alors on fit sortir de la foule Alexandre, que les Juifs poussaient en avant, et Alexandre fit signe de la main qu’il voulait parler au peuple. Mais quand ils reconnurent qu’il était juif, tous crièrent d’une seule voix pendant près de deux heures : « Grande est l’Artémis des Ephésiens ! » (Actes 19.33-34)
Le temps qu’il m’a fallu pour apprendre ce que représentait « la culture de l’annulation » me fait honte en tant que personne relevant de la génération Y. Mais aussi nouvelle que soit cette terminologie pour moi, le concept ne l’était pas. Les Éphésiens l’ont mis en pratique il y a deux millénaires.
L’apparition d’Alexandre a immédiatement révélé son identité. Tout le monde savait que les Juifs n’étaient pas les amis d’Artémis. Il appartenait à cette étroite religion monothéiste. Il n’avait rien à dire qu’ils voulaient entendre. Ironiquement, il est très probable que, puisque ce sont les Juifs qui l’ont mis en avant, il était un ennemi et non un ami de Paul (peut-être le même Alexandre que Paul a « livré à Satan », 1 Timothée 1.20 ; 2 Timothée 4.14). Sa « défense » aurait très probablement été une tentative de distinguer Paul (un homme juif) des Juifs qui étaient là pour le persécuter, lui et ses compagnons chrétiens. Quoi qu’il en soit, la foule ne voulait pas l’entendre.
La masse désemparée, ne sachant pas pourquoi elle était là au départ, en savait assez que pour inonder de cris quelqu’un qui cherchait à prendre la parole – pendant deux heures. Ici, la politique identitaire et la culture de l’annulation étaient à l’honneur.
Un homme juste prend la parole
La situation à Éphèse a été désamorcée par le fait que le Dieu tout-puissant a donné la grâce commune d’une tête froide au greffier de la ville. Des mots ont incité une foule ; peut-être que des mots pourraient la désamorcer.
Vous devez vous calmer et ne rien faire avec précipitation. . . . Si donc Démétrius et les artisans qui l’accompagnent ont à se plaindre de quelqu’un, il y a des jours d’audience et des gouverneurs : qu’ils portent plainte. Et si vous avez d’autres réclamations, cela se réglera dans une assemblée légale. . . . Il n’existe aucun motif qui nous permette de justifier cet attroupement. (Actes 19.36,38-39,40)
Il ne prétend pas être juge sur des questions qu’il connaît si peu. Il se prononce sur l’innocence de Paul, mais rappelle l’existence de jours d’audience destinés à la résolution d’affaires de ce genre. Il condamne cependant l’injustice qu’il voit de ses propres yeux, en interpellant le meneur, Démétrius, par son nom.
C’est le courage commun qu’il faudra toujours avoir pour s’opposer à une foule. Parfois, des hommes bons, des hommes justes, se lèvent et triomphent. D’autres fois, ils se lèvent et se font tuer. Et parfois, on ne trouve pas d’hommes bons, et la tyrannie prospère sans être contrôlée.
La folie de l’amour chrétien
Il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil. Les problèmes d’aujourd’hui, aussi désespérés qu’ils puissent être, étaient d’abord ceux d’hier. Cela implique une vérité commode et profonde pour le chrétien : les solutions n’ont pas changé.
Christ est toujours le seul espoir du monde. Lui, en tant que lumière du monde, brille toujours, et les ténèbres – avec tout leur froid et leur confusion – n’arrivent toujours pas à l’arrêter. Ce monde est toujours rempli de masses condamnées, enragées par le péché, suivant le diable, et vacillant au bord de l’éternité – comme c’était notre cas autrefois – respirant une ruine éternelle. Tout cela alors qu’un chemin étroit existe bel et bien – un chemin difficile, un chemin dangereux, mais le seul qui mène au ciel. Un chemin qui peut attirer une foule ou vous amener – par amour pour les autres – à vouloir entrer dans le cœur de quelqu’un comme Paul l’a fait.
Paul voulait courir vers la foule meurtrière, et non s’en éloigner : « Paul voulait se présenter devant le peuple » (Actes 19.30). Lorsqu’il considéra ses frères Gaïus et Aristarque capturés par la foule en délire qui le cherchait, il voulut entrer dans le théâtre pour se tenir debout (et mourir, si nécessaire) avec ses compagnons. La folie des foules dans ce théâtre a préparé le terrain pour la folie de l’amour chrétien – une mise en scène de l’amour de Christ : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner votre vie pour vos amis » (Jean 15.13).
Seulement si les morts ressuscitent
Ce jour-là, Paul n’entra pas dans le théâtre, car « les disciples l’en empêchèrent, et même quelques Asiarques qui étaient ses amis envoyèrent quelqu’un vers lui pour l’inviter à ne pas se rendre au théâtre » (Actes 19.30-31). Il n’était pas sage – cette fois – de s’aventurer avec autant d’audace dans le mal ; Dieu avait d’autres moyens de délivrance. Mais sa foi, son espérance, sa confiance en Christ, son amour pour ses frères sont consignés pour nous. Cela ne vous remue-t-il pas ?
Qu’est-ce qui a donné à Paul une telle audace ? Il nous le dit :
Chaque jour je risque la mort, aussi vrai, frères et sœurs, que vous faites ma fierté en Jésus-Christ notre Seigneur. Si c’est dans une perspective purement humaine que j’ai combattu contre les bêtes à Éphèse, quel avantage m’en revient-il ? Si les morts ne ressuscitent pas, alors mangeons et buvons, puisque demain nous mourrons. (1 Corinthians 15.31–32)
Se battre avec la folie des foules ne vaut rien s’il n’y a rien après cette vie. Si la mort était la fin de toutes choses, Paul et ses compagnons iraient boire un verre, rire un peu et ne causeraient jamais d’émoi à cause de Christ. Mais Paul croyait en la résurrection. Il croyait qu’il possédait la vie éternelle. Il connaissait son Dieu. Il connaissait son Sauveur. Il savait qu’il était immortel. Il était libre d’affronter la foule (et les conséquences), comme il l’a fait de ville en ville et de persécution en persécution.
Peut-être qu’un moment approche, peut-être que le décor est planté – même si je prie pour que nous puissions vivre une vie paisible et tranquille – où les chrétiens d’Occident seront traités comme la plupart des chrétiens l’ont été pendant la plus grande partie de l’histoire de l’Église (et comme beaucoup le sont maintenant dans le monde entier). Et si cela devait arriver, nous devons prendre une décision maintenant, serons-nous assez fous, si notre Dieu nous appelle, pour faire face aux foules et à la persécution au nom de Jésus, par la puissance du Saint-Esprit ? Seuls ceux qui savent que ce monde n’est pas la fin de toutes choses peuvent agir ainsi.
Cet article est une traduction de l’article anglais « Alone Against the Mob » du ministère Desiring God par Timothée Davi.
