Une nouvelle définition de la relation d’aide (David Powlison)
Considérez les quatre façons dont vous devez, en tant que pasteur, redéfinir la relation d’aide.
Pour commencer, si la définition psychothérapeutique détermine notre vision, quel pasteur pourrait prendre soin de 30 âmes, sans parler de 100, 500 ou 5 000 âmes ? Et quel pasteur a le temps de suivre la formation sécularisée présumée nécessaire ? Après avoir travaillé longtemps pour être consacré par l’Église, qui a le temps ou l’envie de travailler en vue d’une seconde consécration par le système de la santé mentale ? Quel pasteur pourrait mettre autant d’efforts dans les entretiens en tête à tête ? Un pasteur a besoin d’une vision très différente de ce que la relation d’aide est et peut être.
Deuxièmement, quel vrai pasteur croit que l’amour du Christ et la volonté de Dieu sont sans valeur ? Vous ne direz jamais à personne (si ce n’est ironiquement) : « Vous êtes libre de découvrir vos propres valeurs, tout ce qui fonctionne pour vous, tout ce qui vous apporte un sentiment de satisfaction dans votre manière de vivre avec vous-même et avec les autres. » Dieu a choisi d’imposer ses valeurs à tout l’univers. La première épître à Timothée, au chapitre 1, verset 5, affirme clairement des buts non négociables : « un amour venant d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sans hypocrisie ». Dieu insiste sur la valeur et la gloire suprêmes de qui il est et de ce qu’il a fait. Dieu veut que les personnes qui sont centrées sur elles-mêmes apprennent la foi et l’amour – et non la capacité d’adaptation, l’accomplissement de soi, la satisfaction des besoins ressentis, les techniques de gestion des émotions, de la vie mentale, ou l’accomplissement des objectifs personnels. Les exigences morales de Dieu augmentent la responsabilité humaine. Sa miséricorde et sa grâce sont le seul fondement de la vraie compassion et de la patience. Dieu insiste pour que nous apprenions à aimer en étant aimés par Jésus et en recevant son enseignement : « Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés » (1 Jn 4.10). Au dernier jour, tout genou fléchira devant les « valeurs » de Dieu.
Le ministère pastoral consiste essentiellement à « imposer » la lumière dans les ténèbres, à provoquer la santé mentale, à former les valeurs vivifiantes du Christ en nous. L’accompagnement pastoral présente clairement des « convictions éthiques ou morales » et exprime ainsi un amour authentique qui recherche le bien-être réel d’autrui. Les conseillers séculiers ont des intentions bienveillantes, mais ils ne peuvent pas considérer les vrais besoins et le bien-être des êtres humains. Un pasteur a une vision systématiquement plus profonde et plus riche que la leur sur ce que signifie la relation d’aide.
Troisièmement, quel pasteur honnête pourrait adopter la réserve professionnelle du thérapeute[i] ? Le pasteur dévoile nécessairement et par principe ses sentiments. Ceci, à l’instar de David, Jérémie, Jésus et Paul. Les cris de joie et les gémissements y ont leur place. Un véritable pasteur ne saurait être froidement détaché. Quand Paul écrit 2 Thessaloniciens 2.7‑12, il est émotionnellement très impliqué. Comme Jésus, il se sent trop concerné pour rester à distance des gens et de leurs problèmes. Si Jésus avait établi des relations purement consultatives et professionnelles, il aurait cessé d’être un pasteur. L’autodévoilement pastoral est une preuve d’amour. Il n’est ni de la complaisance, ni une manifestation impulsive, ni de l’exhibitionnisme, ni une divulgation ostentatoire d’opinions. Il comporte une certaine réserve. La franchise chrétienne est différente de l’idéal du professionnalisme dépassionné. Le ministère exprime l’immédiateté émotionnelle des sports d’équipe et des sports de contact. Il ressemble plus à un match de basket qu’à une partie d’échecs ou de poker.
Et vous ? Les gens ne vous connaissent-ils pas dans toutes sortes d’autres rôles que celui de conseiller, à savoir comme proclamateur des paroles de vie, ami, visiteur à l’hôpital, partenaire sportif, simple homme qui ne peut s’empêcher de montrer qu’il a des soucis financiers ou doit faire face à un conflit interpersonnel, en butte à la critique lors de la retraite d’Église, mari d’une femme talentueuse, père (imparfait) d’enfants à l’école du dimanche, compagnon de souffrance qui a besoin de ce qu’il demande à Dieu, compagnon d’adoration qui rend grâces pour ce qu’il reçoit, compagnon de service qui aspire à aimer davantage. Vous n’avez pas seulement une relation duelle avec la personne que vous conseillez, vous avez des relations multiples. Et il doit en être ainsi. Le christianisme est une forme différente de relation d’aide.
Finalement, quel pasteur pourrait en toute bonne conscience adopter l’idée selon laquelle celui qui se porte apparemment bien se permet de traiter celui qui est visiblement malade ?Ne sommes-nous pas tous confrontés aux mêmes tentations, peines et menaces ? Ne sommes-nous pas tous enclins au mal ? La « médecine comportementale » (comme les organisations de santé l’appellent) prétend guérir les troubles de la personnalité, la confusion identitaire, les troubles de l’humeur, le trouble de la pensée, le comportement perturbateur, les dysfonctionnements relationnels ou le syndrome de stress post-traumatique. Le ministère pastoral traite les mêmes problèmes. Mais Dieu humanise – normalise – les luttes. Une grave maladie trouble la personnalité, l’identité, les émotions, les pensées, les comportements et les relations. Un Sauveur admirable décide de guérir ces âmes troublées. Un monde de malheurs nous assaille, que ces malheurs soient traumatiques ou chroniques, très inhabituels ou simplement inévitables. Le Psaume 23 insuffle une manière différente de vivre au milieu des péchés et des souffrances qui nous assaillent. Notre désordre est fondamental, enraciné dans l’attention que nous prêtons à notre propre voix intérieure, au mensonge que nous trouvons attrayant (voir Pr 16.2 ; 21.2). Mais la voix de notre Pasteur nous guérit : « Mes brebis entendent ma voix… » (Jn 10.27.) N’avez-vous pas le même genre de problèmes que ceux que vous accompagnez ? Nos différences ne sont-elles pas une question de degré plutôt que de nature ? N’avons-nous pas tous besoin de guérison ? Le vrai ministère pastoral traite les mêmes problèmes personnels et interpersonnels que les psychothérapeutes, mais plus profondément. Il recherche les cancers moraux cachés que nous partageons tous. Il allège les souffrances universelles, que l’expérience soit brutale ou légère, que les symptômes de détresse soient évidents ou subtils. Toute guérison est notre guérison, sans exception.
Cet article est tiré du livre : « Pasteurs, vous êtes aussi des conseillers » de David Powlison
[i] Tous les thérapeutes n’adhèrent pas à la réserve prisée par les psychothérapeutes psychodynamiques. Par exemple, Virginia Satir, Albert Ellis, Marsha Linehan ou Steven Hayes apportent une « présence » dynamique et charismatique dans la relation et expriment librement leurs opinions, émotions, réactions, assertions et témoignage personnels. Qu’est-ce qui leur donne le droit d’imposer si librement leurs valeurs et perspectives aux autres ? Les psychothérapeutes les plus détachés voient avec raison le danger de charlatanisme inhérent aux psychothérapies les plus intrusives. Cependant, les conseillers les plus intrusifs voient avec raison que les valeurs sont « induites » dans toute forme de relation d’aide, et qu’une prétention à la neutralité ne fait que masquer ce processus. Seule la foi chrétienne contient un principe permettant aux valeurs d’être ouvertement et constamment induites, sans intimidation ni manipulation.